Il y a des livres dont la naissance reste mystérieuse. Qu'est-ce qui a donc pu pousser une jeune femme, fort charmante par ailleurs si l'on en croit son portrait gravé en frontispice, à écrire des contes pour expliquer l'économie politique ? Et comment se fait-il que, de façon assez surprenante, l'idée n'ait pas été reprise pour tous les domaines de l'enseignement ? On se perd en conjecture… Maria Weston Chapman Harriet Martineau (1802-1876) fut l'une des femmes écrivains les plus lues de son époque (de l'autre côté de la manche, bien évidemment !) et une intellectuelle de premier plan dont les théories économiques et les idées libérales en particulier, ont été prises au sérieux, même au Parlement anglais.
Féministe et libérale, elle exposa ses objections à
l'esclavage et étudia les similitudes qu'elle voyait dans les contraintes
imposées par la société sur les épouses. Partisan de l'éducation des femmes et de
leurs droits dans le travail, elle a également collaboré à l'abrogation des
lois iniques sur les maladies contagieuses, et dans le sillage de la guerre de
Crimée, à des réformes sanitaires dans l'armée britannique et en Inde. Ses racines provenaient de réfugiés huguenots français qui s'étaient installés
à Norwich, au XVIIe siècle : d'où ce nom aux consonances bien françaises... Elle
publia son premier livre en 1823 mais il s'agissait surtout de réflexions morales
associées à des exercices de dévotion.
Après la de son père en 1826 elle se retrouve sans revenus. Ayant peu de
chances de mariage en raison de troubles de l'audition (entre autres), elle commence à utiliser ses compétences dans
l'écriture pour subvenir à ses besoins. Elle publie une série importante de
contes moraux populistes basés sur l'économie politique empruntant ses
réflexions à des hommes comme Adam Smith, Jeremy Bentham, Malthus ou David
Ricardo… Ce sont ces petits contes traduits en français en 1833 que je vous
présente aujourd'hui à la vente.
Marquée par sa conscience aiguë des problèmes économiques
posés par une société en pleine industrialisation, par la pauvreté généralisée
et la misère sociale de la vie urbaine, elle s'intéressera particulièrement au
sort des travailleurs agricoles et à celui de l'industrie textile dont le
travail avait été supplantée par la machine.
Écrit dans la même veine, Harriet Martineau a produit un
flot d'écrits - englobant à la fois la fiscalité directe, le laisser-faire, et une
foultitude d'autres questions économiques - publié tous les mois au cours de
1832-1834. Ils furent collectés en vingt-cinq volumes dans un " Illustrations
of Political Economy " et connurent un tel succès populaire que la gloire
et la fortune de Harriet Martineau furent faite
;-))
Cette prodigieuse production aurait pu épuiser le plus
énergique des écrivains, mais elle utilisa cet argent pour financer une grande
visite aux Etats-Unis où elle donna de nombreuses conférences accompagnée d'une
aide (une nécessité compte tenu de sa surdité). La société américaine fut marquée
par ses critiques après qu'elle eut assisté aux enchères d'esclaves et visité
les plantations du sud, faisant remarquer que le système de l'esclavage allait
à l'encontre des principes fondamentaux de la Déclaration d'Indépendance. Elle
s'attaqua aussi à la condition sociale de la femme américaine et dénonça la prostitution
du mariage qui en était le socle (bleuurppp).
Elle continuera ensuite à écrire ensuite, alternant les
réflexions économiques, philosophiques (positivisme de Comte) et religieuses (agnosticisme). Souffrant de
ce qu'elle croyait être une maladie cardiaque incurable à partir de 1855, Harriet
Martineau se retirera dans sa propriété d'où elle publiera encore son
autobiographie en trois mois (1856). Dans ce document, elle affirme qu'elle est
" très reconnaissante de n'avoir jamais été mariée et n'a donc jamais eu à subir quoi que ce soit en relation avec l'amour
et le mariage ".
On est content pour elle… Pierre
MARTINEAU Harriet ( Miss). Contes de Miss Harriet Martineau
sur l'économie politique. Traduits de l'anglais par M. B Maurice. Librairie de
Charles Gosselin. 1833. 4 volumes in-8. Reliure demi-basane havane, plats
recouverts de papier coloré, tranches jaunes. Tome I : La colonie isolée - La
colline et la vallée - Le village et la ferme. Frontispice, 399 pages. Tome II
: Demerara - Ella de Garveloch - La mer enchantée. 415pages. Tome III :
Prosperité et désastre à Garveloch – La coalition d'ouvriers à Manchester –
Pour chacun et pour tous. 397 pages. Tome IV : L'Iranade – La cousine Marshall
– Les vins de France et la politique. 400pages. Tampon de bibliothèque
ancienne. Des rousseurs et quelques défauts de reliure. Pas de ressauts de
cahiers. Rare édition originale française. 185 € + port
6 commentaires:
Je n'ai pas grand chose à dire sur l'économie politique, alors j'en profite pour attirer l'attention des bibliophiles sur le grand intérêt des in-octavo. Contrairement aux in-quarto et in-12, du fait de l'imposition à l'italienne de la feuille d'impression, la cousure n'empêche pas l'allongement du papier et, en principe, ils ne sont donc pas sujet au gondolage, ce qui est parfaitement vérifié ici.
Vous avez l’œil, Pascal !
Aviez-vous remarqué que le portrait sur le frontispice représentait l'auteure avec la main sur l'oreille (une façon de matérialiser sa surdité). Si vous faites des recherches sur internet, vous apprendrez qu'elle était aussi atteinte de problèmes liés à des kystes ovariens... Pierre
On sait donc où est l'autre main :-D
Voilà, voilà... ;-)) Pierre
Du moment qu'on ne parle pas d'hémorroïdes !
(vous l'avez cherché)
Je vous assure que je dis vrai pour les kystes ! Alitée 3 ans et guérie de façon quasi-miraculeuse par un mage, elle perd la foi à cette occasion... Pierre
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