Des amis m'ont demandé quels enseignements j'avais tiré de
ma première expérience d'expert dans une vente volontaire en salle. Tout d'abord, je dois de préciser que je n'étais que
consultant. Le résultat pourrait vous sembler analogue mais les responsabilités
y sont moindres puisque c'est le commissaire-priseur qui reste garant de tous
les problèmes qui pourraient survenir au cours ou après la vente. D'autre part, mon employeur étant un commissaire-priseur de province, mes réflexions ne s'appliquent sûrement pas à
un " Sotheby's commissaire-priseur " de la capitale…
Je rappelle qu'il existe deux types de commissaire-priseur :
- Le "commissaire priseur judiciaire" a un statut
d'officier ministériel et procède à des ventes judiciaires faisant suite à des
faillites ou des saisies. Il est nommé par le garde des Sceaux ou sur
proposition d'une commission, et doit prêter serment devant le Tribunal de
Grande Instance. Il est payé sous forme d'honoraires, et perçoit 7 % du prix de
l'adjudication par le vendeur et 9 % par l'acheteur. Il est titulaire d'une étude
qu'il est dans l'obligation d'acheter. En France, un décret fixe le nombre
d'implantation d'études et de commissaires priseurs judiciaires.
- Le "commissaire priseur habilité", lui, ne peut s'occuper que des ventes d'objets appartenant à des particuliers et fait partie des sociétés de ventes volontaires agréées. Ses commissions sont libres.
- Le "commissaire priseur habilité", lui, ne peut s'occuper que des ventes d'objets appartenant à des particuliers et fait partie des sociétés de ventes volontaires agréées. Ses commissions sont libres.
Pour avoir le droit d'exercer cette profession, ils doivent
être titulaires d'un diplôme en droit et d'un autre diplôme en Histoire de
l'art, d'archéologie ou d'arts appliqués. S'ils ne remplissent pas ces
conditions, ils peuvent avoir un diplôme de l'école du Louvre, ou 5 ans
d'expérience professionnelle en tant que notaire, magistrat, ou huissier. Par
contre, même s'ils remplissent l'une de ces conditions, ils doivent se
présenter à un examen d'accès au stage organisé par la Chambre Nationale des
Commissaires-priseurs. Cet examen sélectif, n'a lieu qu'une fois par an et on
ne peut s'y présenter que 3 fois. Voilà qui est précisé ! Ensuite, les
candidats doivent effectuer un stage d'une durée de 2 ans avant d'exercer. De
plus, s'ils veulent réaliser des ventes judiciaires, ils doivent réussir un examen
d'aptitude qui comporte 3 épreuves orales portant sur des matières juridiques,
la pratique des ventes et la réglementation professionnelle.
Il va de soi que le commissaire priseur doit être cultivé,
qu'il doit bien connaître le domaine de l'art, celui
du droit, qu'il doit avoir un sens relationnel développé
et le goût de la mise en scène afin de mettre en avant les objets proposés. Il
va de soi aussi qu'il doit être d'une grande honnêteté morale et intellectuelle… Un ensemble d'excellences donc, dans un monde où, pris entre
des vendeurs impatients et des acheteurs exigeants, il devra parfois s'entourer
de sapiteurs compétents… L'expert en livres anciens en est un ! Il n'est pas
incontournable mais ses compétences pour l'évaluation des pièces présentées est
sans équivalent quand il faudra présenter l'ouvrage sur catalogue ou en salle. C'est pourquoi j'ai été très honoré que l'on me confie cette
tâche dans une vente volontaire. J'ai essayé, on peut !
Je ne m'attarderai pas sur les différents aspects techniques d'une vente (publicité, catalogue, etc…). La " Gazette Drouot " en est un élément important. Je peux, néanmoins, vous faire part du seul élément d'appréciation qui me semble mal défini dans une vente volontaire : il s'agit de l'estimation de l'ouvrage. Vous savez qu'il existe un prix de réserve, déterminé par le vendeur, en dessous duquel le marteau ne tombe pas même si le commissaire-priseur qui "bourre" feint de l'ignorer ! C'est à ce dernier de s'entendre avec le vendeur pour qu'un prix surestimé n'empêche pas toute transaction. L'expert ne peut donner que son avis sur les tendances du marché…
Par contre, il serait nécessaire que l'on s'entende bien sur la fourchette d'estimation d'un ouvrage.
- Est-elle le prix qu'un professionnel pourrait offrir
?
- Est-elle le prix de départ d'Ebay ?
- Est-elle le prix qu'un particulier pourrait consentir pour sa passion ?
- Est-elle l'estimation du prix d'un ouvrage équivalent chez un confrère?
- Est-elle un prix d'appel pour remplir la salle
d'opportunistes en mal d'affaires ?
Que penserait-on d'un tel lot proposé dans un catalogue* :
[Almanachs royaux. Réunion de 11 almanachs royaux en 11 vol. grand in-8 :
L’année 1754 est en maroquin à dentelle, les autres en veau marbré ou en veau
blond. 1100/1300 €] …quand deux confrères réputés proposent ceci en leur
boutique* : [Almanach royal. Paris, Le Breton 1731. in-8, maroquin cerise, dos
à nerfs orné de caissons et de fleurons dorés, dentelle dorée en encadrement
des plats, roulette intérieure, tranches dorées. Bel exemplaire en dépit de
légères usures. 650 €] et un autre [Almanach royal. Chez Le Breton, à Paris,
1738. 1 volume in-8 plein veau d'époque, dos à nerfs orné de fleurs de lys. Bon
exemplaire malgré de légers manques à la pièce d'année et quelques épidermures.
320 €] ?
Le commissaire-priseur est en droit de demander à l'expert
de modérer ses estimations pour attirer les acheteurs mais l'expert a aussi le
devoir d'être respectueux de la valeur des lots pour attirer les vendeurs…
Autrement, ces derniers finiraient par fuir les SVV et aller tous directement
chez leurs libraires pour vendre leurs livres !
Dans le cas présenté, l'estimation à 1100 € pour 11 beaux almanachs, si elle est le prix de réserve, pourrait paraître basse (le vendeur touchera encore 15% de moins …). Elle ne peut être logiquement inférieure au prix de réserve… Aurait-on alors vraiment besoin d'un expert en ouvrages anciens pour faire une estimation ? Il y a aussi l'hypothèse vraisemblable que le cours de l'almanach en maroquin à dentelle se soit complètement effondré ces derniers temps ;-)) Pierre
Dans le cas présenté, l'estimation à 1100 € pour 11 beaux almanachs, si elle est le prix de réserve, pourrait paraître basse (le vendeur touchera encore 15% de moins …). Elle ne peut être logiquement inférieure au prix de réserve… Aurait-on alors vraiment besoin d'un expert en ouvrages anciens pour faire une estimation ? Il y a aussi l'hypothèse vraisemblable que le cours de l'almanach en maroquin à dentelle se soit complètement effondré ces derniers temps ;-)) Pierre
* Toute ressemblance avec des catalogues ou des libraires
ayant existé ne serait que le fruit du hasard.
3 commentaires:
J'insiste : l'exemple que j'ai pris est un simple support de réflexion. On suppose que les ouvrages sont en très bel état. Pierre
J'ai l'impression que les estimations, quand elles sont sincères, reflètent le prix qu'un professionnel serait prêt à mettre pour enrichir son catalogue.
Il y a bien sûr des cas où la vente s'adresse plutôt aux clients qu'aux libraires, les estimations sont plus élevées. Mais je crois que c'est plus rare... et des cas où les estimations sont farfelues, pour attirer les acheteurs. Mais elles ne sont pas sincères, donc.
Le rôle de l'expert reste néanmoins de garantir le client qui lui a confié ses ouvrages. Je me demandais s'il y avait une déontologie de l'expert vis à vis du vendeur ou du commissaire-priseur. Pierre
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