jeudi 4 mars 2010

La vie de Cara Mustapha, Grand Vizir, par Jean de Prechac, auteur à succès du 17eme siècle.


La représentation des Turcs en littérature est un filon qui a été très utilisé et si le XVIIIe siècle reste dans l’esprit du lecteur un siècle pré-orientaliste par ses contes et son théâtre, le XVIIe siècle fut un précurseur sur le sujet.

Jean de Préchac, écrivain français (1647 – 1720) nous en donne un fort bel exemple avec son traité historique sur la vie d'un grand Vizir de l'époque : Cara Mustapha. Pour information, le Grand Vizir est à Mr Fillon ce que le Sultan est à Mr Sarkozy, je schématise…Lecteur de Philippe d'Orléans, secrétaire d'espagnol de la reine d'Espagne Marie-Louise d'Orléans, conseiller au parlement de Navarre, il fut l'un des auteurs les plus prolifiques du 17eme siècle avec ses romans d'aventures et ses « nouvelles historiques » qui jouaient volontiers de l'exotisme Il donna aussi dans le conte de fées et les mémoires. A l'Académie des oubliés, il serait le secrétaire perpétuel, c'est sûr !

Dans les trente dernières années du siècle de louis XIV, le Turc devient un objet de prédilection pour quelques auteurs qui en font un nouveau personnage de fiction, par le biais d’une histoire contemporaine ou quasi contemporaine. Si la Turquie est un allié politique de la France surtout à partir de 1665 – échanges d’ambassadeurs, politique commune contre les Habsbourg – elle a connu et elle connaît, au travers des multiples guerres qu’elle a menées contres ses voisins, une histoire qui marque les esprits. Le récit du siège de Vienne occupe 13 pages dans "Cara Mustapha", par exemple.

Conformément à l’image traditionnelle, le Turc est l’être de toutes les perversions : cruel, infidèle, traître, avare. Les morts violentes ne manquent pas dans ces textes où on élimine facilement celui qui ne répond pas à ses attentes : dans "Cara Mustapha" sont ainsi décapités ou étranglés le Pacha d’Alep, Mustapha, le Bacha de Bude, deux eunuques…

Par ailleurs, les Turcs sont présentés comme des amoureux aux manières extrêmement raffinées. Dans Cara Mustapha, le héros tombe amoureux de Basch-lari, soeur du sultan qui « lui accorda la permission qu’il lui demandait avec de grands instances, de pouvoir lui envoyer des Selams, lorsqu’elle serait dans le Serrail du Grand Seigneur. Ce sont des Bouquets de fleurs, dont les Turcs se servent comme de billets ».

Mais ces récits sont aussi le moyen de revivifier un imaginaire encore empreint du rêve de la croisade. Bien qu’il soit un allié politique de la France, le Turc est l’Infidèle qu’il faut combattre, l'être fourbe et cruel : Raffiné oui, mais meurtrier beau-frèricide, quand-même ! Prechac nous le conte : " Le Grand Vizir qui était bien moins occupé de cette guerre que de son amour, avait une aversion extrême pour le Bacha de Bude. Il lui semblait que ce n’était pas assez de l’éloigner de sa femme ; sa jalousie qui lui demandait un plus grand sacrifice, lui inspirant l’envie de le perdre, il s’imagina que la guerre lui servirait de prétexte pour se défaire de ce rival, sans qu’il y parût aucun dessein particulier".


Tel était le Turc ! Si Furetière, à la même époque, dans son dictionnaire de " Presque-L'Académie " ne définit pas ce qu’est un Persan, un Tunisien, un Marocain, il nous dit que le Turc est " Sujet de l’Empereur d’Orient qui fait profession de la secte de Mahomet mais il révèle également les connotations de violence, de force, de cruauté : On dit proverbialement, qu’un enfant est fort comme un Turc, quand il est fort et robuste pour son âge ".

La représentation des guerres, je l'ai dit, n’occupe qu’une place relativement restreinte dans cet ouvrage. Ce qui est mis en valeur, c'est une forme d’exotisme qui va introduire l’imagerie du sérail dans les histoires galantes au XVIIIeme siècle. Angélique, Marquise des Anges, tu reviens hanter mon imaginaire !

À cette époque, le terme sérail évoque des connotations souvent contradictoires. Espace à la fois interdit et fantasmé où alternent des scènes de béatitude amoureuse et de morts tragiques, ce microcosme de l’Orient fascine les écrivains de l’époque en ce qu’il contient à l’état prospectif tous les ingrédients d’une intrigue à succès, résultant le plus souvent d’un troublant mariage entre l'érotisme et la barbarie. Dans la nouvelle historique de Jean de Préchac, " Roxelane jugeant que sa condition ne seroit pas malheureuse » se soumet sans résistance aux volontés du Grand Vizir qui souhaite l’offrir comme esclave à la Sultane Basch-lari ". Le pittoresque ne doit en rien choquer la bienséance en rappelant avec trop d’insistance le despotisme que le Vizir exerce, voilà pourquoi les écrivains nous livrent une vision quelque peu édulcorée du harem.


C’est dans cette enceinte fermée, à l’abri des regards, que les protagonistes, privés de tout commerce extérieur, découvrent les délices de l’amour. On ne saurait assez insister sur le curieux paradoxe par lequel le sérail, se transforme ici en un lieu de rencontre et de retrouvailles favorable à l’invention d’une sorte d’utopie amoureuse. Pour déjouer la garde du sultan, les protagonistes rivalisent d’ingéniosité, multipliant les subterfuges. Qu’il s’agisse de billets dissimulés, de travestissements, d’escalades nocturnes ou d’enlèvements à la faveur de la nuit, les amants qui se sont rencontrés à la faveur de circonstances exceptionnelles ne reculent devant aucun stratagème pour se retrouver à nouveau. En ce sens, le quartier des femmes offre, en vertu de sa clôture et des règles qui le régissent, un lacis d’écueils qui permettent au héros de prouver l’intensité de ses sentiments…

Cara Mustapha, lui, n'est pas mort d'amour mais des suites de sa défaite à Vienne contre les Austro-Hongrois et leurs alliés polonais. Il fut exécuté en 1683 sur ordre du Sultan Ottoman. Les Turcs sacrifiaient leurs ministres au baromètre des résultats… Raffinés mais cruels, vous dis-je. Pierre


PRECHAC (Jean de). Cara Mustapha, grand vizir, histoire contenant son élévation, ses amours dans le serrail, ses divers emplois, le vray sujet qui lui a fait entreprendre le siège de Vienne, et les particularitez de sa mort. Cologne, chez François Foppens,1684. IV, 252p, une gravure dépliante montrant le conseil du grand Vizir. Reliure pleine basane à tendance veau épidermé, in-12, dos à 4 nerfs, titre et motifs dorés, coiffe inférieure restaurée, coins frottés, bonne tenue des cahiers, intérieur parfait. Marque à la sphère. Présent à la BNF, rare chez les libraires. Vendu

8 commentaires:

Librairie L'amour qui bouquine Livres Rares | Rare Books a dit…

m'plait bien c'grand Vizir !

En même comme je vois que l'actualité du moment se concentre sur Tarascon... pas la peine d'aller chercher loin l'aventure qui se passe à nos portes.

B.

Jeanmichel a dit…

Antoine Galland avait sûrement ce livre en mémoire lorsqu'il "traduisit" quelques années plus tard les Mille et Une Nuits, emplies d'amours immarcescibles nées de la vision fugitive d'un regard entr'aperçu à travers de fines jalousies.

Pierre a dit…

immarcescible : Voyons voir !
I - imm - ah, oui ! 2 m - arces - tiens, un s ! - c comme cible : inaltérable, indéfectible. Merci, Jean-Michel, pour ce mot à placer dans les "oubliés". Je considère ceci comme un cadeau.

C'est vrai que Jean de Préchac a été le précurseur d'un genre orientaliste très fécond. Zadig, Bazajet, l'enlèvement au sérail, la marche turque de Mozart... Pierre

Textor a dit…

Voilà une turquerie qui nous amène tout droit chez Monsieur Jourdain. Merci Pierre !
C'est bien le Grand Vizir qui voulait devenir calife à la place du Sultan ?
T

Pierre a dit…

La vie du Grand Vizir Iznogoud qui voulait devenir "calife à la place du calife" est, en effet, une œuvre orientaliste dans la plus pure lignée de Jean de Préchac.

Je demanderai à Anne Goscinny si son père s'était inspiré de Cara Mustapha ! Pierre

Jeanmichel a dit…

Pas la peine de déranger Anne.
Le Dictionnaire Goscinny (2003) rappelle ce qu'en disait René Goscinny en 1971 dans la revue Phénix :
"Iznogoud, cela relève de la fantaisie la plus totale. Je ne possède pas de documentation..."

Anonyme a dit…

Extraordinaire, ce livre! Je connais la seule et la derniere ascendante, la petite fille du Grand Vizir. Elle vit en Turquie et mariée ave l'un de mes meilleurs amis. Il faut que je lui demande sur ce livre.

Thomas

Pierre a dit…

Ce livre est maintenant à Paris. Bon souvenir d'ailleurs puisque cela se passait à l'occasion du salon du grand Palais, il y a deux ans. Un libraire m'a téléphoné pour le commander. J'en ai été fier. Pierre