lundi 8 mars 2010

Causerie du lundi de Philippe Gandillet : La vérité sur le théâtre...


Jour de tempête de neige… Je sais ! On va encore dire que nous exagérons. Pierre qui n'a pu prendre sa poudre d'escampette hebdomadaire a décidé de rester avec moi à la boutique. Je l'aime bien, notre libraire, mais il pose toujours des questions !

- Maître ? (je sais, c'est un peu pompeux mais il y tient !)
- Oui…
- Vous qui avez porté au pinacle, le théâtre moderne avec vos pièces, pourriez-vous avoir l'obligeance de proposer à ma clientèle quelques auteurs que vous aimez et d'expliquer à cet auditoire, conquis d'avance, quels sont les critères qui font d'une œuvre un succès ?
- Je ne suis pas certain que vos lecteurs s'intéressent à cette facette de la littérature, Pierre. Le théâtre se voit, s'entend, plus qu'il ne se lit. Pensez-vous avoir des clients susceptibles de dépenser un peu d'argent pour lire une pièce plutôt que d'acheter un billet ?


- J'en suis convaincu ; d'autant plus si vous en êtes le fidèle avocat…
- Le laudateur, Pierre. Pas l'avocat ! Le théâtre n'a pas besoin d'être défendu.
- On lui fait tant de reproches pourtant.
- Tiens donc ! Et que lui reproche t-on au théâtre ? Ses intrigues désuètes, ses situations impossibles, ses tirades trop longues, ses répliques trop courtes ?
- Certains disent que le théâtre classique est une bien pâle imitation de la vie. Qu'il lui manque surtout de la vérité
- Ahhh ! Le mot est lâché ! Mais, cher ami, c'est que le théâtre est entre tous les arts, le mensonge charmant de la vie. Ceux qui parlent de vérité à la scène me font sourire. La vérité ! Au théâtre !
- De grands acteurs, pourtant…
- Fadaise ! Tout y est faux, convenu, arrangé ; tout, depuis le ciel en toile jusqu'au soleil en gaze, depuis l'acteur qui interprète l'œuvre avec un costume, une voix, des gestes qui ne sont pas les siens, jusqu'à l'œuvre elle-même qui exprime en musique, en vers ou en prose comme on en parle guère, des sentiments comme on n'en trouve pas ; depuis l'auteur qui a médité ses naïvetés, calculé ses audaces, dosé ses émotions, jusqu'au spectateur qui n'ignore rien de ces habiletés tant que le rideau est baissé et qui les oublie, dès que le rideau se lève. Non ! Non ! Pas d'art sans artifice. Quand vous faisiez l'éloge de Lucien Guitry, il y a peu, vous avez assez dit l'importance d'être un bon acteur pour faire valoir une pièce.


- Mais il y a l'auteur avant tout.
- L'auteur est un guide bienveillant, en effet. Entre celui qui fait la pièce et celui qui l'écoute, un contrat est intervenu, un contrat tacite par lequel le spectateur a dicté et l'auteur a accepté ces conditions sous-entendues ; " Je ne suis pas ici pour juger mais pour sentir ; tu n'es pas là pour m'enseigner mais pour m'émouvoir ; je ne viens pas chercher la réalité mais la fuir. Montre-moi la vie moins plate et plus rapide, le malheur plus mérité, le bonheur moins rare. Ennoblis mes passions, grandis mes luttes, égaies mes bassesses et mes hontes par le ridicule. Soit invraisemblable, soit exagéré mais soit faux ! "
- Vous conseillez donc à ma clientèle d'acheter, et de lire, cela va de soi, les ouvrages que vous allez choisir sur mes rayonnages ?
- Bien sûr, Pierre. Et le petit bénéfice que vous en tirerez ne sera rien par rapport à…
- L'idéal de justice, d'honneur, de pureté et d'amour qui sera évoqué dans ces lignes ?
- En effet ! L'homme vit pour ce rêve. La science le fait douter. Le rêve le fait croire. Au théâtre, Pierre, il n'y a pas de drame, pas de comédie, pas de vaudeville qui soit un tant soit peu réel. Les grands écrivains ne sont pas des photographes du quotidien. Ce sont des peintres…
- Pourrais-je présenter une pièce dont vous êtes l'auteur ?
- Ce ne sera pas nécessaire. D'autres ont plus besoin de publicité que moi….

Pierre vient de s'éloigner au fond de la boutique pour prendre quelques photographies de pièces que je lui ai conseillées. Par moment, sa naïveté me déconcerte. Vendre des pièces de théâtre ! Pourquoi pas les jouer aussi ? Votre dévoué. Philippe Gandillet


CORNEILLE (Pierre). Le Cid. Collection Omnia N°6. Avec une préface de Jacques Fontaine, une notice sur Gérard Philippe d'après une représentation de Jean Vilar. In 12 agraphé. 95p. 7 € + port
ROSTAND (Edmond). L'aiglon. edition du Panthéon, collection Pastels, 1946, in 8, édition numérotée. Illustrations Edou Martin. 21 €
MORAND (Paul). Le Lion écarlate précédé de "la fin de Byzance" et " Isabeau de Bavière". Gallimard, in 8, troisième édition, 1959. 14 €
GANDILLOT (Leon). Vers l'amour. Paris Charpentier, 1905, in 8, dos fendillé. 14 €
FARRERE & MERE. Les tribulations d'un chinois en chine. Hachette, 1931. Comédie tirée du roman de Jules Verne. Grand in 8. belle illustration du premier plat. 10 €

2 commentaires:

Anonyme a dit…

Je lui avais pourtant bien dit que le théâtre n'intéressait personne. Ergo glu capiuntur aves... Philippe Gandillet

Anonyme a dit…

Je retire ce propos hâtif et erroné.

Pierre m'indique qu'en ce jour, une bibliothèque Julesvernophile française s'est portée acquéreur de l'ouvrage !

Il me demande de renouveler ses compliments à la dame charmante qu'il a eu au téléphone... Philippe Gandillet