lundi 31 août 2009

Causerie du lundi de Philippe Gandillet. Portrait de Bibliophilès...

Le hasard est étrange, il provoque les choses… Lorsque j'ai été élu à l'Académie Française au siège occupé par La Bruyère en 1693, jamais ce dernier n'aurait imaginé que j'écrirais un portait, à sa manière, pour présenter un ami libraire qui propose ses ouvrages à la vente...


Bibliophilès fait commerce de livres anciens. Il n'est point de ces fous, ou de ceux que le commun par manque d'indulgence serait porté à juger tels, qui s'étiolent face à l'écran d'une boutique virtuelle. Bibliophilès au contraire raisonne bien. Il conjugue boutique web et librairie ancienne dans un lieu choisi avec pertinence.

De son bureau, Bibliophilès sourit en pensant à sa reconversion hasardeuse. Les esprits chagrins lui avaient promis un avenir incertain et des insomnies fréquentes. Il entend encore ses proches se lamenter pour eux-mêmes ; il n'ose croiser le regard de ses amis compatissants ; il se borne à travailler sans relâche en remerciant le chaland magnanime qui lui offre assez pour être heureux et trop peu pour être à l'aise.

La boutique de Bibliophilès est ouverte sans rendez-vous au moins cinq jours par semaine. C'est un lieu convivial avec une âme. N'ai-je pas dit que certains clients prétextent la recherche d'un livre pour simplement passer quelques minutes dans ce lieu magique ? On vient y chercher les derniers potins ; on y épanche ses peines…

Bibliophilès possède de jolis ouvrages, des reliures superbes et cite à l'envi des passages de littérature. C'est qu'il n'est pas peu fier du choix qui l'a conduit à ce métier étrange. Il aime les mots, il s'approprie les idées car si le livre comble les uns et rend les autres furieux, il le sait le plus fidèle et respectueux des amis. Comme il ne saurait être un puits de science en tout, il se qualifie d'humble généraliste de crainte de décevoir les doctes spécialistes. C'est ainsi ! Notre libraire est devenu plus modeste en devenant libraire.

Ce n'est pas peu dire que Bibliophilès a une forte personnalité. Elle s'exprime dans son blog qui devient incontournable. Littérateur médiocre, il a publié quelques pièces qui lui ont valu ce classique succès d'estime qui blesse son auteur. Surtout n'allez pas complimenter notre libraire si vous l'aimez ! Il aurait trop peur de vous entendre complimentir...

Rompant avec l'élitisme pédant de ce siècle, Bibliophilès aime à répondre à toutes les demandes et à se mettre à la portée des néophytes. Logique conséquence : Il se dit très occupé et avide de temps libre. Le fait est avéré d'autant qu'une fois l'an, Bibliophilès organise une manifestation locale, prétexte à réjouissances bachiques, autour d'un salon littéraire très attendu par les habitués.

Bibliophilès gagne modestement sa vie. Des aléas préoccupant nécessitent parfois la mansuétude de son banquier mais il peut aussi s'offrir quelques caprices en revendant, deux fois l'an, quelques trésors rangés de dessus ses rayonnages. Ne cachant ni ses angoisses, ni sa passion, il peut avouer à ses visiteurs qu'ils peuvent trouver le même ouvrage moins cher ailleurs mais qu'en l'achetant chez lui, ils lui permettront de continuer son métier de libraire. Il est parfois, c'est pathétique, d'un idéalisme désarmant…


Si vous voyez en ce fin portrait comme un panégyrique, ne soyez pas surpris ! Bibliophilès est bienveillant avec lui-même. Votre dévoué. Philippe Gandillet


LA BRUYÈRE (Jean de). LES CARACTÈRES DE THÉOPHRASTE TRADUITS DU GREC, AVEC LES CARACTÈRES OU LES MŒURS DE CE SIÈCLE. Septième édition originale (sur les neuf existantes). A Lyon, chez Thomas Amaulry, 1693.1 volume grand in-12 (170 x 100 mm) de (32)-587-(6) pages. Reliure plein veau, dos à 5 nerfs ornés, plats ornés d'un filet doré en encadrement, Pièce de titre dorée, roulette dorée sur les coupes, tranches pigmentées de rouge. Traces de mouillure aux deux contre-plats absolument sans gravité. Intérieur très frais. Provenance : L CH DELECEY DE CHANGEY. Dans cette édition, La Bruyère a voulu donner une forme logique et suivie à son oeuvre ; cette idée le conduisit à modifier l'ordre des caractères de façon à y introduire une suite insensible. La dernière édition revue par La Bruyère fût donnée en 1696 par L'auteur chez Michallet peu de temps avant de mourir. Le libraire Michallet meurt à son tour en 1699 après avoir donné la dixième édition de ce célèbre recueil. Livre à succès et sans cesse augmenté et corrigé par son auteur depuis la première édition de 1688, on sait que Thomas Amaulry de Lyon réimprimait les éditions des Caractères à mesure qu'elles étaient mises au jour par Michallet. M. Walckenaër dit qu'il y avait un accord fait entre eux à ce sujet. Vendu

5 commentaires:

Jeanmichel a dit…

Au moins, voilà ce Bibliophilès à l'abri de la fadeur. Il est écrit quelque part dans ces pages "Un caractère bien fade est celui de n'en avoir aucun".
Dommage que la mise au point soit floue sur les roulettes dorées. Mais peut-être est-ce voulu, pour nous tenter démoniaquement d'aller les voir en vrai ?
Pourquoi les descriptions ne parlent-elles jamais de l'odeur ? La première chose que je fais en ouvrant un livre est d'y plonger le nez.

Pierre a dit…

Un ami libraire fait de même. Je crois même qu'il avait écrit un billet là-dessus. Personnellement, je suis trop pudique pour l'envisager. Les yeux d'abord, le nez ensuite.
Les roulettes sont en effet floues. La faute en revient à l'accomodation approximative de mon numérique 1ere génération, hérité de mes enfants.
Bibliophilès.

Jeanmichel a dit…

Pourquoi cette pudeur quant à l'odeur ? Il ne s'agit pas de fétichisme nauséeux évocateur de je ne sais quelles pensées déviantes, fétichisme qui de toutes façons s'attacherait à n'importe quoi, même des post-it, mais des souvenirs associés, chaque génération ayant à peu près les mêmes.
Exemple : irrémédiablement l'odeur fraîche et artificielle de colle et d'encre mêlées du livre neuf en papier glacé me ramène plusieurs dizaines d'années en arrière, au temps du CE1 et d'un livre de calcul flambant neuf, les pages collent encore un peu entre elles, rempli d'illustrations colorées : deux oies plus trois oies font cinq oies.

Pierre a dit…

Merci Jean-Michel pour cette charmante évocation de notre jeunesse. Pour moi, ce livre était un conte. Le père et ses trois fils dont un enfant prodigue, j'imagine… Le cartonnage était épais, brillant et illustré d'un jeune homme avec un brin de paille dans la bouche. Quand je l'ouvrais, immédiatement, les odeurs mêlées de vernis, de colle et de papier me racontaient l'histoire.
J'ai cette même impression quand je rentre dans une voiture neuve (les contrôles techniques acérés des voitures de mes enfants m'ont fait renouveler ce dernier plaisir 3 fois en un an). Des cinq sens, l'odorat est-il le roi ?

Anonyme a dit…

Je viens de modifier légèrement ce billet en le relisant 1an 1/2 plus tard mais ne renie rien de ce haut portrait de Bibliophilès. Seul le prix de l'ouvrage a été revu à la baisse. Ph Gandillet