Pierre Bergé est un bibliophile lucide. Comme le capitaine d’un navire sur le point de sombrer avec son équipage – ses livres – il affronte fièrement la mort de sa bibliothèque avec un semblant de détachement dans une causerie radiophonique où il nous présente quelques-unes de ses plus belles acquisitions. Et si l’on ajoute que cette bibliothèque reflète son propriétaire, il sera aisé de qualifier la sienne : celle d’un lecteur.
Il vendra donc ses livres dans sa propre salle des
ventes, Drouot, à l’occasion de trois journées qui promettent de belles
enchères ! Lui-même ne connait pas
exactement le nombre des livres qui la compose ; peut-être 1500 à 2000
livres mais pas plus. Il faut dire que Pierre Bergé - bibliophile - ne
collectionne pas les ouvrages pour leur beauté mais pour leur texte. En
conséquence, il n’y a fait entrer aucun auteur détesté, Camus et Malraux en tête…
Tel un Julien Sorel à la conquête de
Paris, à ses débuts dans la capitale, il gagna sa vie en tant que courtier en
livres anciens pour le compte de Richard Anacréon, un libraire
spécialiste des éditions originales. C’est ainsi qu’il se prit de passion
pour cette thématique et qu’il rassembla le long de sa vie les plus belles,
les plus rares et les plus anciennes éditions originales qui soient. Au cours de la première partie de cet entretien, Pierre Bergé
présente aux auditeurs ses éditions les plus anciennes. Les amateurs de livres
anciens n’auront pas besoin de l’écran de leur ordinateur ou de leur télévision
pour en apprécier tous les détails ; Pierre Berès, malvoyant à la fin de
sa vie ne se contentait-il pas de se faire lire les notices des livres avant de
lancer ses enchères ?
Le plus ancien des livres de sa bibliothèque est un
incunable de 1471, Illisible pour lui car en latin. Ces Confessions de Saint
Augustin, qui n’a pas été un saint toute sa vie nous dit-il, doit être à mon
humble avis le seul ouvrage religieux que notre bibliophile possède, et à coup
sûr le seul qu’il n’ait jamais lu ! Il peut cependant réciter par cœur un sonnet
de Louise Labé appris dans l’édition originale de 1555 qu’il tient fermé dans
ses mains. Il faut dire que ce sonnet n° 14 aborde l’échéance de la mort. On y
devient sensible avec le temps…
Quel est celui qui a pour lui - et vraisemblablement pour
les futurs enchérisseurs - le plus de valeur ? A n’en pas douter son
édition originale de 1580 des Essais de Messire Michel de Montaigne dans son
vélin d’époque, précise-t-il. Pour gagnant de l’Euromillion, cependant… Ou
alors cet unica du Jardin d’amour de Charles Fontaine, imprimé à Lyon en 1572 ?
Dommage qu’il ait été recouvert au 19eme siècle d’un maroquin vert de Trautz-Bauzonnet !
Ou bien même ce grand herbier in folio de Léonard Fuchs acquis outre-Atlantique
avec ses dessins aquarellés de toute beauté ? Les beaux ouvrages des
bibliophiles ne sont pas que des ouvrages de littérature, faut-il le rappeler…
Pour ce qui est des classiques, Pierre Bergé nous
présente un "Cervantès" remarquable et deux éditions originales de Jean Racine, Esther et Athalie,
imprimées avec leurs partitions de musique de Jean- Baptiste Moreau. On imagine les jeunes filles de
Mlle de Maintenon accompagnant ces pièces de leurs voix mélodieuses... Moins classique, il sort de "L’Enfer"
de sa bibliothèque un exemplaire de Félicia ou mes fredaines par le Chevalier
de Nerciat, bien illustré, et un exemplaire ayant appartenu au marquis de Sade,
livre qui l’aurait amené à Charenton. Les catalogues mentionneront aussi un
exemplaire exceptionnel de Madame de Stael et un autre de Chamfort ayant appartenu
tous deux à Stendhal et reliés au format "de sa poche"…
Dans la deuxième partie de cette causerie, Pierre Bergé
nous présente justement, à travers des exemplaires de haute bibliophile, tous ces
auteurs du 19eme siècle qui lui sont si chers. Un manuscrit de Stendhal annoté,
Une Confession de Musset dédicacée à Franz Liszt, des manuscrits de Flaubert
dont un (Madame Bovary) dédicacé à Victor Hugo et l'autre à Guy de Maupassant "qu’il
aima comme un fils" (sic) ainsi que deux remarquables exemplaires d’Émile
Zola, l’un envoyé à son épouse et l’autre à sa maitresse (resic), chacune étant remerciée pour son soutien…
Les bibliophiles attendront avec impatience les
catalogues de ces ventes et les notices élaborées par des confrères renommés. Nul
doute que les lecteurs de ce modeste blogue ne pourront s’offrir ces ouvrages agrémentés
au contre-plat de l’ex-libris de Pierre Bergé ! Il leur viendra peut-être à
l’idée de faire un petit texte décrivant leur propre bibliothèque, comme Pierre
Bergé l’a fait dans cet entretien, afin que leurs héritiers en apprécient la
composition ? Pour moi, ce sera plus facile ! Il leur suffira de lire les petits
billets que j’ai écrits sur mes livres à la vente ces dernières années, à moins que vous ne me les achetiez tous… Pierre
11 commentaires:
Copieur :)
Sacré Paul Bergé en plus :)
Aux Grands Hommes …
Monsieur Pierre Bergé se sépare discrètement de sa prestigieuse bibliothèque constituée aux fil de sa vie de bibliophile.
A cette occasion il permet à de grands écrivains comme Umberto Eco ou encore Charles Dantzig de s' entretenir avec lui.
De nombreux hommages vont lui être rendus par nos élites et hommes politiques.
Je suggère de lancer une souscription nationale pour ériger devant le Panthéon ou l' Institut une Statue Equestre à son effigie.
A défaut, une statue à vélib' - avec quelques incunables ou éditions originales dans le panier - pourrait aussi être envisageable.
frs
frs, vous avez un pb avec Pierre Bergé, poyr aller spammer tous les blogs avec le même commentaire?
C'est personnel?
Hugues
Propos très librement inspirés par Albert Cossery : LA VIOLENCE ET LA DERISION. Paris, René Julliard, 1964 dont l' édition originale avec envoi est vraisemblablement présent dans le catalogue !
frs
Il avait un pb avec Pierre Bergé, Albert? Ou c'est juste vous?
H
C'est l'avant-propos de Charles Dantzig qui m'a donné l'idée de faire ce commentaire virtuel qui reprend l'entretien réel de France Culture. Je l'ai bien aimé de mon côté.
Et puis, je n'avais que ça à faire en attendant la naissance de mon petit-fils ;-)) C'est fait ! Pierre
Félicitations Pierre!
Mais dites-moi, ce petit fils s'appelle-t-il Paul? Ce qui expliquerait tout! 😊
Oup's ! Un peu perturbé par les prénoms, en fait ;-) Je corrige le titre : Pierre Berger
Mon petit-fils s'appelle Matias. J'aime bien. Aussi facile à crier en espagnol qu'en français... Pierre
Oup's ! Je corrige. Il ne s'appelle pas Matias mais Matias Pierre car on donne les deux prénoms au Mexique !
Cette jolie arrivée vous perturbe cher ami 😊
Thanks for thhis blog post
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