P.C – Peut-on
imaginer, au rebours de votre thèse et en dépit du savoir diacritique, que
l’antisémitisme de Céline, dont les origines n’ont rien de bien original,
répond aussi de sa part à un calcul, une quête de notoriété à tout prix et de
succès commercial ? L’échec de Mort à crédit lui ayant été une terrible désillusion, il aurait
alors recherché le plus grand nombre de lecteurs en enfourchant un vieux dada
démagogique ?
P.A – Les racines de son racisme biologique ne sont pas aussi banales que vous
semblez le penser. Au moins de son temps, puisque nous avons vu émerger de la
guerre un pays bâti sur des critères strictement biologiques que les Nations
Unies et le monde entier ont porté sur les fonts baptismaux et auquel ils
garantissent toutes sortes d’exceptions au Droit des gens. L’antisémitisme de
Céline, secondaire à son racisme, était effectivement bien plus porteur. Les
fortes ventes des pamphlets l’ont encouragé dans sa voie mais sa diffusion
encourage tout écrivain sauf l’élite que vous signalez, la poignée de gens qui
savent que la prostitution littéraire commence au quatre-cent-unième exemplaire
vendu. Je ne crois cependant pas qu’il faille voir dans les pamphlets
uniquement le souci de grossir ses réserves d’or, le trésor de guerre. Et Mort à crédit n’a pas été l’échec que
vous semblez poser – au témoignage de Gide qui affirmait qu’on voyait le livre
partout. La claque reçue par le second roman a porté sur la grossièreté de
l’auteur. Trop de scatologie dit Élie Faure et Descaves et Daudet (Leon) se
défilent. J’explique une grande part de Céline par l’orgueil.
P.C – Que penser alors de
l’intelligence politique de Céline ?
P.A – Elle est aiguë et nulle. Il «voit des choses». Surtout dans le sens des catastrophes, mais distingue mal les données et les enjeux. Et il a eu tellement raison en annonçant la défaite de l’an quarante, qu’il s’est rendu incapable de voir la suite. Après Stalingrad, si la volonté épuratrice se calme considérablement, il croit toujours à une lutte des races. Or c’est l’obsession raciale qui perd Hitler. Il s’aliène les Ukrainiens et autres peuples subjugués par les Soviets en les traitant en sous-hommes. Qu’importe d’ailleurs, victoire ou défaite (il croit à l’une en annonçant l’autre), il ne peut qu’avoir raison : «Ils ont gagné».
P.C – Que vous inspirent les céliniens ?
P.A – Elle est aiguë et nulle. Il «voit des choses». Surtout dans le sens des catastrophes, mais distingue mal les données et les enjeux. Et il a eu tellement raison en annonçant la défaite de l’an quarante, qu’il s’est rendu incapable de voir la suite. Après Stalingrad, si la volonté épuratrice se calme considérablement, il croit toujours à une lutte des races. Or c’est l’obsession raciale qui perd Hitler. Il s’aliène les Ukrainiens et autres peuples subjugués par les Soviets en les traitant en sous-hommes. Qu’importe d’ailleurs, victoire ou défaite (il croit à l’une en annonçant l’autre), il ne peut qu’avoir raison : «Ils ont gagné».
P.C – Que vous inspirent les céliniens ?
P.A – Beaucoup de bons et de beaux sentiments. Surtout ceux qui ont sacrifié
leur carrière à leur passion pour Céline. Il faut saluer leur courage. J’ai
assisté cet hiver à un colloque à Beaubourg organisé par la Société des Études
Céliniennes que Dauphin, Godard et moi avons fondée en 1975 et à un autre, plus
universitaire, dans mon quartier. Quel progrès ! J’ai été à chaque fois ému par
la richesse des apports et surtout par les jugements intrépides prononcés par
chacun : «condamnable, sulfureux, criminel», disaient-ils, et ainsi de suite.
Vous me direz que Céline faisait les frais de ces exorcismes mais il faut
avouer qu’il ne l’avait pas volé. L’un des intervenants de Beaubourg confessait
que lui, lecteur inlassable, n’avait pas réussi – en s’y reprenant à plusieurs
fois et malgré tous ses efforts –, à terminer l’un des trois pamphlets. Sa
punition l’attend bientôt quand il sera choisi pour être l’un des annotateurs
de la Pléiade
P.C – Que pensez-vous de la récurrente alternative qu’on prétend imposer : Céline génie ou salaud, génial mais salaud, etc. ? Ce critère moral vous paraît-il pertinent ? Ne peut-on convenir avec Giovanni Raboni (1932-2004), poète et traducteur de Proust, qui rapproche Pound de Céline, que : «Une grande poésie, un grand roman, une grande tragédie, bref un grand texte littéraire qui ne contient pas, en plus et à l’intérieur de la beauté de l’écriture, un noyau de grandeur éthique, un principe actif de vérité […], c’est une contradiction dans les termes…»
P.A – Si ce n’était trop d’honneur à me faire, je crois avoir le premier
prononcé le terme de salaud au micro de Pierre Assouline. Je m’en souviens car
aussitôt je me mordais les lèvres : qui étais-je pour juger ? Je sortais de la
rédaction du chapitre sur l’Occupation et j’étais encore scandalisé par le
manque de compassion du bon docteur pour les persécutés. Ce qu’il avait ri,
écrit-il à Me Naud, en suivant les alarmes de Colette dont le mari
avait été enlevé en décembre 41 avec les mille notables juifs. Vous me direz
que ces rires s’expliquaient par le fait qu’il n’avait jamais vu autant de
Juifs à Paris et qu’il était persuadé qu’il ne pouvait rien leur arriver, mais
tout de même ! Je ne crois pas qu’il faille chercher chez lui le noyau de
grandeur éthique ni le principe de vérité si celui-ci n’est pas le devoir de
croître et de survivre à ses adversaires. Alors il est un maître. Et un maître
qui rit !
Je ne signe pas ce billet car je n'en suis pas l'auteur.
Pierre
CELINE : L'herne – L.F.Céline. Cahier N°1. Paris, L'Herne,
1963. Un volume broché à couverture illustrée. Format In-4°. 349 pages + album
photographique. Edition originale de ce premier Cahier de l'Herne consacré à
Céline. Contient plusieurs textes inédits de Céline. Avec un cahier
photographique en fin de volume. Intérieur parfait. Quelques tâches claires sur
le plat. Bon exemplaire. Vendu
CELINE : L'herne – L.F.Céline. Cahier N°5. Paris, L'Herne, 1965. Un volume broché à couverture illustrée. Format In-4°. 347pages + album photographique. Edition originale. Les carnets du cuirassier Destouches - Inédits - Correspondance - Essais - Interférences des témoins - Autour du procès - Réception critiques - Bibliographie. Avec un cahier photographique en fin de volume. Intérieur et extérieur parfaits. Bon exemplaire. Vendu
7 commentaires:
Le commentaire que j'ai supprimé était un doublon de celui que vous lisez.
PB
J'ai enlevé le message original et le doublon avec dans l'égarement mais le message est bien passé Pierre ;-)) Pierre
Ca a pas trainé le père Céline, à peine déballé c'est déjà vendu!!!
Céline = vendu
(Pardon. Pas pu résister…)
;-)
Je vous rassure, moi, je trouve ça marrant, Pascal ;-))
Céline n'est pas un sujet tabou, pas plus que la religion. Sans vulgarité ni arrogance, on peut faire cohabiter l'humour et l'intelligence... Pierre
Eternel débat entre l'auteur et l'oeuvre.
Hugues
Comme pour la bible, les commentaires et les ouvrages sur Céline sont plus nombreux que les écrits. Il ne laisse pas indifférent en tout cas et permet au lecteur d'exercer ses talents de polémiste, de fleurettiste ou d'érudit avec les détracteurs ou les amateurs du "divin salaud ".
Pierre Chalmin, qui est un lecteur occasionnel du blog, en est un bon spécialiste. C'est pourquoi j'ai choisi un de ses interviews. Pierre
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