On voudrait écrire un billet original et intelligent sur Molière qu'on n'y arriverait pas. Tout a été écrit sur Jean-Baptiste Poquelin… et bien écrit. On peine même, aujourd'hui, à vendre ses œuvres !
En le relisant hier, d'un regard distrait, j'ai néanmoins trouvé une tirade que je ne connaissais pas. Elle met en scène un libraire d'ouvrages anciens et un client qui souhaite lui vendre quelques livres :
Le libraire : Je suis libraire, qui vais de ville en ville, de province en province, pour chercher d'illustres exemplaires de qualité, pour trouver des ouvrages dignes de m'occuper, capables d'exercer les dons que j'ai dans ce domaine. Je dédaigne les brochés, les revues illustrées. Je veux des livres d'importance : de bons maroquins, des reliures ciselées, de forts volumes dorés, de rares incunables aux enluminures pourprées : c'est là que je me plais, c'est là que je triomphe ; et je voudrais, Monsieur, que vous eussiez tous les ouvrages que je viens de citer, que vous fussiez vendeurs de tous vos exemplaires, ruiné, à l'agonie, pour vous montrer l'excellence de mes compétences, et l'envie que j'aurais de vous rendre service en vous les achetant.
Le vendeur : Je vous suis obligé, Monsieur, des bontés que vous avez pour moi.
Le libraire: Montrez-moi vos ouvrages. Allons donc, ouvrez-les comme il faut. Aie ! Celui-là ne vaut rien, je le prendrai quand-même car j'aime la Renaissance... Je vois bien que vous n'y connaissez guère. Qui est votre libraire ?
Le vendeur : Monsieur P. B****.
Le libraire : Cet homme-là n'est point écrit sur mes tablettes entre les grands libraires. C'est lui qui vous a vendu ces exemplaires ?
Le vendeur : Il m'a dit qu'ils étaient de grande valeur, et je les ai achetés à ce prix.
Le libraire : C'est un ignorant : Ils ne valent rien…
Le vendeur : Rien ?
Le libraire : Oui. Que voyez-vous, ici ?
Le vendeur : Je vois une dorure sur la tranche de tête.
Le libraire : Justement, mauvais signe.
Le vendeur : Je vois un nom écrit en queue d’ouvrage
Le libraire : Mauvais signe.
Le vendeur : Je croyais que cela donnait de la valeur au livre
Le libraire : Mauvais signe.
Le vendeur : Le papier est beau
Le libraire : Mauvais signe.
Le vendeur : Et quand j’ouvre le livre, une fraiche odeur d’encre se dégage des cahiers
Le libraire : Mauvais signe. Vous voyez comme les coiffes sont intactes ?
Le vendeur : Oui, Monsieur.
Le libraire : Mauvais signe. Vous constatez que les charnières sont solides ?
Le vendeur : Oui, Monsieur.
Le libraire : Mauvais signe, mauvais signe, vous dis-je. Que vous a donné votre libraire pour l’entretenir ?
Le vendeur : Du savon Brecknell
Le libraire : Ignorant.
Le vendeur : De la cire conservatrice
Le libraire : Ignorant.
Le vendeur : Une éponge naturelle
Le libraire : Ignorant.
Le vendeur : Un chiffon doux
Le libraire : Ignorant.
Le vendeur : Et rien d’autre…
Le libraire : Ignorantus, ignoranta, ignorantum. Si votre ouvrage est en si bel état, c'est qu'il n'a pas été lu ; c’est que le texte ne vaut rien ! Tous les libraires vous diront que les vrais bibliophiles se désintéressent de l’apparence …Votre libraire est une bête. Il vous a vendu du cuir à prix d’or pour vous cacher la vacuité de l’ouvrage. Ce livre ne vaut rien mais je vous le prends quand même…
Le vendeur : Vous m'obligez beaucoup.
Le libraire : Vous pouvez me payer en chèque
Le vendeur : Comment?
Le libraire : C’est que je veux bien vous le prendre, votre ouvrage, mais j’aurai des frais secondaires !
Le vendeur : Et pourquoi?
Le libraire : Il me faudra acheter une étagère
Le vendeur : Je n’y avais pas pensé
Le libraire : Adieu. Je suis fâché de vous quitter si tôt ; mais il faut que je rentre à ma boutique mettre ce livre sur mon catalogue…
Ce n'est pas la meilleure de ses pièces ;-)) Pierre
Molière (Jean-Baptiste Poquelin dit). Oeuvres avec des remarques grammaticales, des avertissements, et des observations sur chaque pièce, par M. Bret. A Paris, aux dépens des Libraires associés, 1786. 8 tomes (complet) in 12. Reliure pleine basane marbrée, dos lisse avec caissons ornés, pièce de titre et tomaison sur maroquin cerise, roulette sur les coupes, gardes colorées, tranches rouges. 359 + 390 + 380 + 352 + 360 + 387 + 368 + 364, [2ff-approbation et privilège]. Liste des oeuvres présentées : Vie de Molière, Supplément à la vie de Molière, L'étourdi, Le dépit amoureux, Les Précieuses Ridicules, Sganarelle, Don Garcie de Navarre, L'Ecole des maris, Les Fâcheux, L’École des Femmes, La critique de l'Ecole des Femmes, L'in-promptu de Versailles, Remerciements du Roi en 1663, La princesse d'Elide, Fêtes de Versailles en 1664, Le Mariage forcé, Don Juan ou le destin de Pierre, L'Amour médecin, Le Misanthrope, Le Médecin malgré lui, Mélicerte, Pastorale comique, Le Sicilien ou l'Amour peintre, Le Tartuffe, Amphitryon, Georges Dandin, L'avare, Fêtes de Versailles en 1668, M. de Pourceaugnac, Les amants magnifiques, Le Bourgeois gentilhomme, Les Fourberies de Scapin, Psyché, Les Femmes savantes, La comtesse d'Escarbagnas, Le Malade imaginaire, La Gloire du Val-de-Grace. Ensemble en bel état, intérieur parfait. 240 € + port
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4 commentaires:
on sent du vécu !
Molière avait peu-être un compte à régler avec les libraires de la place ;-)) Pierre
le savon Brecknell a fait des ravages à l'époque ! sans parler de la cire 213, bien trop utilisée du temps de Mazarin.
A cet égard, je serais curieux de savoir quel produit on utilisait, à cette époque, pour entretenir les cuir. Sûrement des produits assez gras si l'on considère quelques gardes colorées bien tâchées sur les bords... Pierre
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