samedi 15 octobre 2011
Petite chronique d’un apprenti bibliophile belge… et d’une rencontre provenço-wallonne sous l'autorité d'Edouard Rouveyre.
Je reçois le courrier d'un jeune ami à qui j'avais demandé de nous parler de son projet de devenir un libraire de demain. Si vous le désirez, je vous rendrai compte de l'évolution de son entreprise dans de futurs billets. Il pourrait faire état, de temps à autre, de l’avancement de ses démarches et de ses questionnements, et ce, de façon plus précise et peut-être également plus en rapport avec la « méthode bibliophile ». Les questionnements auxquels il se confronte actuellement sont du style : « Qu’est-ce qu’un beau livre ? », « Comment le choisir ? », « Qu’est-ce qui détermine la valeur d’un livre ? », « Qu’est-ce qui est permis en matière de restauration ? », « Quels canaux utiliser pour rencontrer le client collectionneur, quand on vit comme lui dans un petit village reculé ? », « Quelles sont les attentes des lecteurs ? », « Quelles sont les sources de documentation sur l’histoire du livre, de l’édition, de l’imprimerie ? ». Bon, je sais ! Il dit trop de bien de votre serviteur pour ne pas penser, à un moment ou à un autre, que j'ai pu bidouillé son texte… Vous pouvez lui mettre un petit mot sous forme d'un commentaire sur le blog ou lui laisser un message sur sa boite mail. Pierre
On prête à Cicéron la recette qui suit d’une vie heureuse et comblée : « Si vous possédez une bibliothèque et un jardin, vous avez tout ce qu’il vous faut. » Pour ce qu’il en est du jardin, je crois pouvoir m’avouer satisfait. M’étant définitivement écarté du tumulte urbain de la capitale wallonne – somme toute, fort relatif eu égard à la réputation de gastéropode qu’attribue la légende à l’autochtone namurois –, je me suis réfugié, voici quelques années déjà, en pleine campagne. Là, depuis les hauteurs d’une colline surplombant la vallée mosane, je me suis employé à ordonner quelques lopins de prairie avec la ferme volonté d’y accomplir des voyages à la manière d’Alphonse Karr. Au milieu de cet éden si modeste en apparence mais regorgeant pourtant de mille trésors pour qui sait encore s’émerveiller devant le spectacle de la vie en miniature, je me suis souvent surpris, ces dernières saisons, à m’engager, à la suite d’un Fabre, d’un Maeterlinck ou d’un Bernardin de Saint-Pierre, dans quelque exploration naturaliste. Ah ! Ces auteurs ! Et voilà avec quelle subtilité mon jardin m’a convié à renouer avec le monde de la littérature.
À tout bien réfléchir, il y a dans cette trajectoire personnelle quelque chose de l’esprit de la règle de Saint Benoît : La recherche de l’harmonie entre le travail manuel, d’une part, et la lecture, de l’autre. Car, à côté des travaux du jardin auxquels je m’astreins depuis lors avec régularité, il s’agit bien d’une boulimie livresque qui a pris possession de moi. À vrai dire, le livre est un objet qui, aussi loin que je m’en souvienne, m’a toujours fasciné. Inexorable séduction. Éveil des sens : couverture, reliure, gravure, odeur de l’encre et du papier, typographie. Éveil de la pensée et de l’imagination : Quel tourbillon de savoirs et d’histoires contenu dans toutes ces pages ! Assurément, le livre reste et restera la plus fondamentale production du génie humain. N’espérez pas vous débarrasser des livres, nous ont d’ailleurs mis en garde Umberto Eco et Jean-Claude Carrière (Grasset, 2009).
C’est donc dans cet état d’esprit de passion bibliophile courant, ces deux ou trois dernières années, les bouquinistes et les libraires à la recherche de quelques pépites promptes à enrichir ma bibliothèque, que m’ont trouvé, il y a peu, les aléas de la vie professionnelle mis en mouvement par le contexte économique international on ne peut plus délicat. Perte d’emploi. Période de doutes et de remises en question. Soudain, cet été 2011, bienveillance du hasard ou de la destinée, c’est selon, je franchis le seuil du 52, rue des Halles à Tarascon. Mal habillé, en tenue de touriste négligé, j’arpente les rayonnages de La Librairie Ancienne, m’enivre peu à peu de son décor léché et baigné de la douceur provençale, ose même entamer maladroitement la conversation avec le maître des lieux à l’occasion d’une sixième édition du Dictionnaire de l’Académie qui me fait de l’œil.
Plus de deux heures dans cette boutique, enchanté par la verve et la science de Monsieur Brillard, sa simplicité, sa cordialité aussi, et puis son parcours qui fait un peu écho au mien ! C’est une révélation, bien qu’il me faille en fin de compte quitter ce lieu. Tout de même, j’emporte le Dictionnaire. Un ultime contact, encore, avant de regagner le ciel du Nord et l’horizon de ma Belgique ; Pierre répond à mon message et, tandis que je boucle mes valises, je me prends à rêver : Voilà le métier que j’aimerais apprendre à exercer…
Quelques mois se sont écoulés depuis. J’ai mis de l’ordre dans mes idées. Quelques emails supplémentaires à Pierre qui, jamais avare, me prodigue ses conseils avec générosité – qualité devenue si rare. Cette fois, c’est décidé : C’est comme lui que je veux faire. Alors, jour après jour, je bâtis mon projet et m’initie peu à peu au métier. Certes, il me faudra encore quelques mois de patience avant d’être en mesure de démarrer. Le temps de finir de constituer mon fonds avec des bouquins qui me plaisent, de trouver un nom à mon commerce, de mettre en place mon catalogue, d’accomplir toutes les démarches administratives et légales, de me documenter encore et encore sur l’histoire de l’édition, de l’imprimerie et de la bibliophilie, et de finaliser tant d’autres choses enthousiasmantes… Le projet est là, en tout cas, et c’est un vrai moteur. D’autres épisodes de mon aventure devront s’écrire. Quant à son début, je remercie vivement Pierre de m’avoir invité à y faire ici écho. Pour le reste, qui vivra verra… Christophe Dubois. (Belgique) : cdubois@swing.be
ROUVEYRE (Édouard). Connaissances nécessaires à un bibliophile. Rouveyre 1883 - Édition Rouveyre & G. Blond éditeurs, Paris. Troisième édition, revue, corrigée et augmentée. 1ere partie accompagnée de 7 planches et de 5 spécimens de papier. La deuxième partie accompagnée de plusieurs planches. Format in-8°, en deux tomes de (XIV), 198pp, (XI), 164pp, (3) pp, couvertures conservées, relié pleine toile, dos lisse orné de motifs dorés Edition sur grand papier. De nombreux renseignements sur l'établissement d'une bibliothèque, entretien des livres, les formats et reliures, des signes distinctifs des anciennes collections, les degrés de rareté des livres, moyens pour la restauration des livres et estampes, etc. Vendu
Inscription à :
Publier les commentaires (Atom)
12 commentaires:
Bon courage.
Sandrine.
Bonjour, Sandrine. Christophe s'engage dans une entreprise où le courage ne doit pas manquer. Mais quel regret, plus tard, si on a pas essayé ! Pierre
Oh, bonjour, Pierre. J'en oublie les civilités d'usage les plus simples, de stupéfaction.
C'est plus que du courage qu'il faut pour ouvrir une librairie en campagne, il faut aussi un bon réseau de communication, à travers champs pour atteindre les quelques lecteurs de livres, les vrais en papier, qui se demandent si ils ne sont pas tous seuls, perdus, dans la stratosphère economico-débilititante qui est en pleine expansion systémique et pré-présidentielle.
Il fut un temps où je savais écrire. Un temps où les petits carrés noirs qui clapotaient sous mes doigts ne me servaient que pour des courriers professionnels.
Il fut un temps où je pouvais encore trouver une bouquinerie pas trop loin de chez moi. Il est vrai qu'un ami m'a dit que mon pays était ravitaillé par les corbeaux, et encore ils volent le bec tourné vers les cieux pour ne pas voir. Alors, lire, hein, vous savez ce que j'en pense...
Mais bon courage tout de même.
Bien à vous,
Sandrine.
C'est très bien tout ça.
Que notre ami belge en soit convaincu : dans la vie, ce qui peut paraître un hasard (pousser la porte de chez Pierre entre autres) n'en est pas. Il est de ces rencontres qui vous marquent à jamais et qui guideront certains de vos pas, de vos décisions et il est des gens qu'on ne reverra pas forcément, mais croiser leur chemin un jour aura été comme une évidence.
Nadia (toujours Anonyme)
Nadia, c'est très beau ce que vous venez d'écrire et c'est très vrai. Certaines personnes ont marqué ma vie et lui ont donné un sens. Je pense quelquefois à Mr H*** et Mr M*** qui ont cru en moi et qui m'ont aidé à me dépasser. Je regrette souvent de ne pas avoir su les remercier comme il fallait mais j'étais jeune. Je pense souvent M.F D***, une chère amie disparue. J'ai souvent été débiteur... Pierre
C'est toujours avec délice que je constate que Sandrine n'a rien perdu, malgré l'arrêt de son activité professionnelle, de sa pugnacité !
Je suis bien évidemment en pleine symbiose avec elle quand il s'agit de juger la stratosphère economico-débilititante qui est en pleine expansion systémique et pré-présidentielle ...
Bon ! En clair, je vote "Aubry" ou "Hollande" ?
Pierre ;-))
C'est vrai que Sandrine se fait rare en ce moment. Et du coup, ça fait plaisir de la lire ! et de constater qu'effectivement elle est toujours aussi percutante !
Nadia
Bonjour Nadia,
Merci à tous les deux, pour ces mots sympathiques.
Ce qui est rare est cher...
Je travaille, donc, à être plus chère.
Quand à savoir pour qui voter, chacun prend ses responsabilités. Je suis bien en peine de vous donner le moindre conseil politique.
Y aura-t-il plus de lecteurs que d'e-lecteurs dans cette mondialisation qui nous dévore?
La librairie de demain sera multilinguiste, peut être?
De la hauteur, de la hauteur dans ces campagnes
multiculturelles.
Voilà.
Bien à vous et bon Dimanche,
Sandrine.
Bon courage à Christophe avec qui je partage à peu près le même parcours.
Période de chômage durant laquelle, étant un peu à l'écart de la vie active, ma bibliophilie a eu le temps de me rattraper.
Doutes, remises en question, carrière précédente qui ne m'apportait plus ce qu'elle devait, et donc cette question qui devient de plus en plus présente : Et pourquoi pas ?
Très heureux de prendre connaissance de vos réactions à mon petit billet & merci à vous pour vos encouragements !
@Sandrine : après différentes expériences professionnelles peu gratifiantes et peu épanouissantes dans le milieu universitaire puis dans le milieu politique et administratif, c'est l'envie profonde de faire enfin ce que j'aime qui me pousse vers l'avant. Le vrai luxe, selon moi, c'est de ne pas avoir de regrets, de nourrir des projets, de réaliser une part de ses rêves. Réussir à vivre de mes passions même modestement me suffirait amplement à faire mon bonheur, tant la qualité prime pour moi la quantité. Et la simplicité est une valeur que je recherche désormais, en retrouvant le sens et la suffisance de l'essentiel. Il y a dans cela, d'ailleurs, un peu de l'esprit du "développement durable".
@Nadia: j'ai toujours voulu croire en l'importance des rencontres et à une certaine forme de "compagnonnage". Même si notre société occidentale est gagnée par un fort individualisme, il est encore des êtres généreux et prompts à épauler leurs prochains, à l'instar de Pierre - si, si, je le pense sincèrement, et il n'a pas "bidouillé" mon texte! Il y a un beau mot en arabe pour parler du destin : "Mektoub", qui veut dire littéralement : "C'est écrit". On y retrouve la même racine que dans le mot "kitab" qui signifie "le livre"... tiens, tiens, on y revient, tout est lié. En tout cas, cette nouvelle orientation dans ma vie met sur mon chemin des personnes qui m'enrichissent humainement.
@sebV: bienvenue à toi, camarade d'expérience. Il est réconfortant de savoir que d'autres que soi éprouvent les mêmes questionnements et les mêmes doutes. Sois sûr, en tout cas, je te le confirme, que la boutique de Pierre est un refuge bien chaleureux et que celui-ci est un fabuleux passeur d'espérance.
... et @Pierre, enfin: tout simplement, merci encore ! Merci de m'aider à croire en moi et en mes rêves. Et vivement de vous revoir bientôt !
Petite pensée aussi à Mme Lecomte, qui, d'une autre façon, m'encourage dans mon parcours.
Christophe Dubois
cdubois@swing.be
En tant que libraire belge je tiens à souhaiter à Christophe le plein épanouissement qu'il pourra atteindre en tant que libraire.
Je serais très heureux de pouvoir le rencontrer très bientôt comme exposant sur un des Salons en Belgique ou en France. Cela me fait chaud au coeur d'apprendre que des jeunes se lancent dans ce métier au combien enrichissant mais difficile.
Bravo aussi à Pierre pour l'enthousiasme qu'il communique à chacun.
Charles LECLERCQ
EQUINOXE
Bonjour,
Je vous vois plein d'une belle energie et c'est avec un plaisir non feint, qui me rapproche de mes choix de vie, que je lis:
combien la vie professionnelle dans des milieux universitaires, politiques et administratifs
tellement porteuse de choses passionnantes pour moi - ( espoir et germination, structuration égalitaire d'une vie meilleure pour tous), étant de l'autre côté et subissant indirectement les conséquenses de certains choix de ces milieux ,
est decevante.
Une belle façon de me dire à moi même que les choix faits, il y a douze ans, sont les bons, même aprés des années difficiles.
Etre convaincu, c'est déjà la moitié du chemin.
Avoir une certaine philosophie de vie est indispensable.
Bien à vous,
Sandrine.
Enregistrer un commentaire