jeudi 17 juin 2010

Gabriel Belot, « homme-orchestre » du livre.


Je vous propose aujourd’hui de faire la connaissance de Gabriel Belot (Paris 1882- 1962), artiste du livre à la personnalité fort attachante et dont on ne parle plus guère, de nos jours.


Le travail de Gabriel Belot est original et intéressant en ceci que l’artiste graveur a non seulement illustré avec talent de nombreux livres mais aussi créé des livres dans leur intégralité : écriture, illustration, tirage. On peut parler d’un « homme-orchestre » du livre. Il s’agit là d’un homme orchestre de talent, dont la création n’est nullement cacophonique mais au contraire toute empreinte d’harmonie et où tous les éléments du livre vibrent en accord.

Voici donc une petite promenade à travers la vie et les œuvres de Gabriel Belot :


1 / Un enfant blessé qui trouve son échappatoire dans l’Art et la nature.

Gabriel Belot nait à Paris en 1882, d’un père ouvrier et d’une mère femme au foyer. Gabriel est un enfant chétif et solitaire. Le père est fatigué par ses journées à la fabrique (sa santé ne résistera pas au travail difficile et il mourra alors que Gabriel est encore enfant) et la mère s’épuise dans les travaux ménagers. Les parents sont sévères et même brutaux, l’enfance de Gabriel est ponctuée de gronderies et de punitions morales et physiques. Devenu adulte Gabriel se souviendra de cette enfance meurtrie dont il tirera d’ailleurs un récit magnifique « Une brute », histoire autobiographique d’un petit Poil-de-Carotte sans défense contre la brutalité du sort et de sa famille.


Pour s’évader de cette vie grise et triste, Gabriel a un secret : le dessin. Agé de 7 ans seulement, l’enfant dessine à la plume d’après nature Le pont Henri IV (voir photo), ce qui lui vaut d’être traité de crétin par sa maîtresse…Une autre occasion d’échapper à la monotonie des jours sont les visites au grand-père doreur sur cuir, métier qui fascine l’enfant.


C’est certainement auprès de ce grand-père adoré que Gabriel acquiert le goût des livres, en passant des moments heureux dans l’atelier et en observant les gestes de l’artisan. Le grand-père emmène Gabriel à la campagne le dimanche et lui apprend à regarder les arbres. Une autre fois, c’est la découverte du musée du Louvre, visite très marquante pour cet enfant qui d’après les lois sociales de l’époque avait peu de chance d’être exposé à la « culture ».


2 / Adolescence et confirmation des dons artistiques

Adolescent, Gabriel est envoyé en Auvergne pour les grandes vacances. Pendant les seules vacances de sa jeunesse, il découvre les joies simples de la vie à la campagne : se lever avec le soleil, travailler aux champs, respirer à pleins poumons, observer les lumières et les couleurs sur la chaîne des puys… « J’aime la liberté et le grand air. Je suis un être de plein vent… » (In « Le bonheur d’aimer », 6 proses décorées de 29 bois, La Ghilde des Forgerons, 1917).


Le jeune garçon fait des provisions de sensations, d’expériences, d’émotions qu’il retranscrira dans ses œuvres. Il s’attachera toujours à traduire les bonheurs sans artifice par tous les moyens d’expression qu’il maniera avec talent: dessin, gravure, poésie, peinture…Il commence par la gravure, technique qui peut s’exécuter à moindres frais (ses premières gravures sont effectuées avec les moyens du bord, c'est-à-dire au canif).


Immédiatement, on pourrait dire instinctivement, Gabriel Belot sait équilibrer les noirs et blancs, disposer les éléments d’une scène ou d’un paysage de manière harmonieuse et vraie. Il est d’ailleurs difficile de discerner les premières gravures de celles qui ont suivi tant la qualité des premières est excellente. Spontané, Gabriel est un être d’intuition, de sincérité et on retrouve ces caractéristiques dans ses œuvres.

Gabriel a 15 ans, il est temps pour lui de gagner sa vie, il entre à l’usine. Il y travaille le jour et consacre ses nuits à sa passion : le soir venu, il empoigne ses crayons, ses couleurs et commence même à manier le burin. Avide de tout ce qui peut nourrir sa faim de beauté, il dévore et absorbe ce qui passe à sa portée. C’est ainsi qu’un petit livre de reproductions de Rembrandt prêté par un ami du quartier lui sert pendant plusieurs semaines tant il a rarement l’occasion de tenir entre ses mains des livres d’art. Cependant, les temps sont difficiles : Gabriel est hanté par le désir de peindre mais les couleurs sont trop chères pour sa bourse. Il doit attendre trois mois avant de pouvoir s’offrir un tube de couleur.


3 / Une carrière intense et fidèle aux débuts

Gabriel est devenu un colosse aux yeux doux que l’on croirait sorti d’une toile flamande. Il se forme en autodidacte chez un graveur, puis commence à travailler seul et à vivre de son art. Il s’essaie à tout :plume, pinceaux, gravure sur bois. Commence alors une période de production intense qui ne cessera qu’avec l’âge. Gabriel Belot collabore à des éditions telles que Les Humbles, Les Muses françaises, Les Editions d’Alignan, Ollendorf, Calmann-Lévy etc. Il illustre des classiques comme Chateaubriand, Balzac, Les Fables de La Fontaine.


En 1913 il expose pour la première fois au Salon des Indépendants. Il devient sociétaire de la Nationale des Beaux-Arts et vice-président de la Société de Gravure Originale. En 1917, parait « L’Ile Saint-Louis », le premier livre que Gabriel Belot écrit, grave et tire lui-même depuis son atelier appartement du quai d’Anjou à Paris. Ecoutons Romain Rolland parler de cet ouvrage: « Ce rarissime livre -musique de chambre à cinq instruments : blanc pur, ocre rouge et jaune, noir, et une phrase en bleu ciel (une seule ligne) pour finir. Gabriel Belot est à la fois le Poète et l’illustrateur, le graveur des dessins et du texte. La douceur chaude, la tranquillité veloutée de ces harmonies est un concert inattendu en pleine guerre. »


En 1919 suivra « Pour être heureux », un album de 13 bois édité par Helleu et qui ajoute un nouveau chant dans la suite des poèmes intimes gravés par Gabriel Belot. Dans les années 20 et 30 Gabriel Belot ne cesse de travailler, comme le montre une production abondante : ex-libris, illustrations de livres, poèmes, peintures, modelages, décorations etc. Il devient l’ami d’Han Ryner l’écrivain anarchiste, de Marc Elder qui lui consacrera un très beau livre, de Romain Rolland, de Steilen et de tous ceux qui gravitent autour du monde du livre : journalistes, auteurs, dessinateurs, éditeurs etc.


Gabriel Belot reste loin des modes et à l’instar des grands artistes il développe son style : simplicité, rusticité, dépouillement, naturel. Il parvient à magnifier les objets ou les situations de la vie quotidienne (La mansarde, Les bancs publics, Une vieille montre…), les animaux, les fleurs (Le pot de primevères, Les dahlias), les paysages (L’Yonne à Clamecy, La plage à Cayeux ). C’est un homme d’intuition qui puise son inspiration dans la nature. Il porte sur les choses qui nous entourent une vision réaliste mais en atteint l’esprit, le sens intime.

Que ce soit avec ses bois, ses gravures, ses peintures ou encore ses textes en prose ou en vers, Gabriel Belot garde son style fait de pureté, de bonté et de candeur.


Tenir dans ses mains un livre conçu par Gabriel Belot, c’est tenir un condensé de toutes ces qualités d’âme. Le plaisir qu’en ressent le bibliophile est augmenté par la certitude d’y retrouver l’intervention de l’artiste dans tous les détails qui font aimer un livre : format, typographie, mise en page, couleurs, papier, illustration, et bien entendu le texte.

Pour conclure, je vous invite à lire quelques commentaires des œuvres de Gabriel Belot. Je précise que je suis à la recherche de tout ce qui concerne Gabriel BELOT, livre ou dessin. Je suis particulièrement intéressée par ce qu'il a dessiné ou gravé de Cayeux-sur-Mer, avis aux chanceux qui auraient des oeuvres de ce dessinateur dans leur grenier. Aimée


J-F. Louis-Merlet : « Gabriel Belot, un des rares artistes complets que je connaisse. »

A. Heuze : « Gabriel Belot est un panthéiste. Que Gabriel Belot écrive, illustre, grave, tire un livre lui-même, voilà qui nous émeut. Mais qu’il fasse passer dans ses proses un vent de poésie , qu’il mette dans ses illustrations le style des grands imagiers, qu’il taille le bois avec autant de précision que de volupté, voilà qui nous comble de joie. … Gabriel Belot aime son art, il le porte en lui sous le sein gauche, il l’offre comme le Christ offrit sa vie à l’humanité, mais avec le sourire merveilleux d’un enfant qui, à chaque pas, découvrirait les merveilles du monde. »

Han Ryner : « Qu’il se serve du crayon ou du pinceau, de la plume ou du burin, toujours sa sincérité profonde exprime les mêmes pensées, les mêmes sentiments, les mêmes émotions. »

Le journal The New-York Sun à propos d’une exposition d’ensemble aux Anderson Galleries à New-York: « Gabriel Belot, doué intensément possède une diversité peu ordinaire et réalise heureusement toutes ses œuvres car non seulement il illustre des livres précieux mais encore il a le don de l’écrivain. Les gravures sur bois sont puissantes tout en restant d’une liberté qui semble paradoxale en xylographie. »

Steilen : « Cher Gabriel Belot, comme vous savez dire ce qu’il faut pour que ce soit bienfaisant et réconfortant ! J’ai vu ce matin la maquette d’un de vos prochains livres. C’est beau et c’est bon ... »

13 commentaires:

Pierre a dit…

Un article qui fournit une mine de renseignements sur l'artiste et ses oeuvres. Si la cote de Belot monte, vous n'aurez qu'à vous en prendre à vous-même ;-))

Merci, Aimée. Pierre

calamar a dit…

ah oui, je vais me mettre en chasse, pour rafler tout ce qui traine de cet artiste, tant que c'est encore abordable !

Pierre a dit…

Il y a un peu de la démarche de Louis Jou dans la conception globale d'un projet éditorial et un peu du style de louis Jou dans l'approche typographique. En plus le bonhomme lui ressemble...

Rendons à César ce qui revient à César. Gabriel Belot, c'est avant Louis Jou ! Ce dernier devait le connaitre. Il s'en est peut-être inspiré ? Pierre

calamar a dit…

ça m'a fait penser à 2 autres illustrateurs : Paul-Emile Colin, grand graveur et aussi peintre, qui a aussi édité ses propres livres (sans les écrire), et Maximilien Vox, que l'on ne présente pas.

Jeanmichel a dit…

Il est manifeste, en voyant ce dessin effectué à l'âge de sept ans, que Gabriel avait ce qu'on nomme en dessin le "chic", c'est-à-dire la faculté innée de représenter graphiquement les choses, mais le "colosse aux yeux doux sorti d'une toile flamande", ça, on ne le sait qu'a posteriori, parce qu'aussi bien la photo pourrait représenter l'étrangleur de Belleville sorti des archives de la préfecture, personne n'y trouverait à redire.

Librairie L'amour qui bouquine Livres Rares | Rare Books a dit…

Merci Aimée, vraiment un bel article.

Je pense, en toute modestie, avoir eu en mains ce que Gabriel Belot a pu faire de mieux, à savoir l'illustration des Chansons de Miarka, la fille à l'ourse de Jean Richepin. Paris, H. Blanchetière, 1923, in-4. En feuilles, sous chemise. Un des rares exemplaires sur vieux Japon avec triple suite des bois dans différents tons et les fumés pour chaque. Une merveille. Sans artifice de reliure pour soutenir le tout. De la beauté pure.

Pour moi Gabriel Belot est un cran (voire deux) au dessus de Louis Jou. Mais tout ceci est affaire de goût.

B.

Pierre a dit…

Belle époque qui a vu naitre de grands graveurs sur bois, en effet. Il y en a pour toutes les sensibilités.

D'autres billets viendront, peut-être, qui évoqueront Galanis, Gaillard, Morin-Jean, Constant Le Breton, Moreau, Hermann Paul, Gusman, Quilivic, Lemoine, Lebedeff, Masereel ou Mathurin Meheut...

Je fais des appels d'offres !

Je peux me charger de G Vandenbergue, graveur et peintre Audomarois (1894-1954) dont j'ai un très bel ouvrage.

Pierre

L'Orée des Possibles a dit…

Pouvez-vous me dire si Gabriel Belot
est l'auteur de la poésie
souvent apprise dans les école :

Automne.

Dans le jardin de ma grand-mère
Il pleut des feuilles tout en or
Et l’on dirait qu’un roi, sur terre
A répandu tout son trésor.

Merci !

Pénélope

L'Orée des Possibles a dit…

" Les écoles... "

Pardon !

Pénélope

Anonyme a dit…

bonjour,
je vais prochainement mettre en vente plusieurs gravures signées de Gabriel Belot, qui était un ami de la famille. j'ai peut-être aussi des livres, des courriers.
echarte.arcadio@neuf.fr

Guardia a dit…

Bonjour
je dispose de plusieurs beaux tableaux de gabriel belot et souhaite organiser une rétrospective de son oeuvre peint.
Aussi j'aurai besoin de tout renseignements sur sa vie autre que ceux sités plus haut
merci d'avance

Pierre a dit…

Ceux cités plus haut sont les meilleurs que je possède ;-))

Vous pouvez éventuellement me contacter via l'adresse mail de la boutique pour que je vous oriente vers plus compétent que moi. Pierre

Anonyme a dit…

Bonjour,
vient de paraître le 12/02/2020:
Monographie sur Gabriel Belot, peintre, graveur, poète

Stefan Albl, Anaïs Bérenger, Gabriel Belot (1882-1962). Peintre, Graveur, Poète, Rome, 2019 (Éditeur Artemide, 368 pages, 242 illustrations en couleurs)