" Notre voisin, un bon voisin, ce qui devient rare ! s’appelait Mïus de la Celeste, les gens ayant la coutume chez nous de donner à l’homme le nom de sa compagne quand celle-ci est maîtresse-femme et se distingue en bien ou en mal par quelque chose de peu ordinaire. Hélas ! depuis longtemps la Celeste dormait le long de l’église, et le vieux Mïus, malgré son grand âge, persistait à vivre seul dans un bien qu’il possédait au quartier des Hubacs, loin de la ville. Pas très gai, le quartier des Hubacs : supportable à peine au printemps, avec ses rangées d’amandiers fleuris et blancs au milieu des blés qui verdoient, mais déplorablement désolé quand, une fois les récoltes enlevées, il ne reste plus entre les chaumes, sous les amandiers recroquevillés, que la terre sèche et poudreuse où luisent des fragments de silex noir.
La bastide du vieux Mïus n’en paraissait que plus
galante par contraste ; et l’on aurait dit que toute l’humide fraîcheur de
ce maussade revers de montagne s’était écoulée, ramassée au creux de son
vallon. Un modeste vallon, d’ailleurs : d’abord simple déchirure de marne
bleue, lavine bientôt élargie et devenue propre aux cultures, mais tout de
suite coupée en travers par le lit pierreux d’un torrent. Seulement, de la
lavine au torrent, tenait, en tout petit et comme résumé, un véritable domaine.
Là-haut, ressource précieuse pour le chauffage et les fumiers, un bosquet de
chênes jetait son ombre ; au-dessous, le coteau produisait, bon an mal an,
trois ou quatre airées ; quelques pieds d’oliviers, un peu de vigne ;
et, dans le fond, la bande verte d’un excellent pré. [...]
Ajoutons que les Hubacs dataient de la Restauration. Un
enfant du pays, parti simple soldat et revenu des champs de bataille de
l’Empire avec les épaulettes de gros-major, s’était plu à embellir cette
seigneurie en miniature d’après un idéal et des souvenirs sans doute rapportés
d’Italie. Il en avait fait une villa comme on en voit autour de Gênes. De là,
sur les murs, ces noms de victoires et de pays lointains, encadrant des
fresques effacées ; de là ce balcon en terrasse dont les six piliers de
grès rouge portaient les sarments tordus d’une treille, et ce jardin planté de
rosiers embroussaillés au milieu d’une enceinte de cyprès, de lauriers et de
grenadiers. Je n’affirmerais pas que le vieux Mïus y fût sensible, mais, dans
leur abandon paysan, les Hubacs, il y a quelques années, conservaient encore je
ne sais quoi de poétiquement virgilien.
J’étais à notre bastidon de la Cigalière, une après-midi
du mois d’août, lorsque, à travers le vacarme infernal que faisaient les
cigales, il me sembla que quelqu’un m’appelait. « C’est le vieux Mïus
qui vous crie, affirma un journalier ; je l’avais laissé tout à l’heure en
train de déchausser les racines d’un peuplier qu’il voulait abattre, pourvu
qu’il ne lui soit pas arrivé malheur !... » Et, tandis qu’avec une sage lenteur le journalier passait
sa veste, je partis en courant vers les Hubacs, par le sentier pendant, bordé
de gazon grillé, d’où s’élevaient des sauterelles en vols si drus qu’elles me
cinglaient le visage comme une mitraillade de balles. Le vieux Mïus n’avait
aucun mal. Tout joyeux et ragaillardi, il arrivait à ma rencontre…"
Si vous désirez savoir pourquoi cet homme était heureux, il vous suffit de "craquer" pour ce magnifique ouvrage que je propose, aujourd'hui, à la vente ! La percaline illustrée qui recouvre le cartonnage, dans le style "art-nouveau", est en parfait état et l'ouvrage présente, en dehors des premières pages, de discrètes rousseurs.
Paul Arène est né en 1843 à Sisteron au milieu des
montagnes parfumées de cette Provence, à laquelle ses vers et sa prose devaient
à jamais rester fidèles. Après un court passage dans l’Université, il débute à
l’Odéon par un acte en vers, Pierrot héritier (1865). Tout Paris fait
fête aussitôt au jeune provincial. À vingt-deux ans par sa prose fluide et
colorée, il se place au premier rang des écrivains. En 1870 il donne un de ses
chefs-d’oeuvre, Jean des Figues, puis les Comédiens errants (1873),
le Duel aux lanternes et l’Ilote deux ans plus tard à la
Comédie Française. Dans la chronique, dans la fantaisie, dans la nouvelle, au
théâtre, partout se multiplie son clair et spirituel génie latin. En 1878,
c’est le Prologue sans le savoir, l’année suivante, la Vraie
tentation de Saint-Antoine, puis ses Contes de Noël et ses Contes
de Paris et de Provence, tendres ou ironiques et toujours exquis que je
vous présente ici. Une méchante rumeur en a fait le nègre d'Alphonse Daudet.
Il était plus que cela : il était son ami et son égal… Pierre
ARENE (Paul). Contes de Paris et de Provence. Edition illustrée de 80 dessins de Myrbach, gravés par Florian. Alphonse Lemerre, 1887. Un volume grand in-8. Cartonnage illustré d'un motif "art-nouveau" polychrome, percaline bleu-clair avec bouquet de fleurs et cigales, dos illustré, 2eme plat avec l'enseigne de Alphonse Lemerre, tranches dorées. 289 pp. Dessins en noir dans le texte, 4 en hors-texte. Rousseurs discrètes. Reliure éditeur en très bel état. Vendu
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