lundi 12 juillet 2010
Causerie du lundi de Philippe Gandillet : Oraison funèbre de Léon Daudet
Il y a Alphonse Daudet que tout le monde aime. Et puis, il y a Léon Daudet (1867-1942), son fils…
Que Pierre se façonne une image lisse et politiquement correcte en louant le pouvoir politique en place, en défendant des valeurs morales et religieuses traditionnelles et en présentant des idées sociales progressistes, je le conçois aisément… Mais qu'il se serve de ma notoriété pour, mine de rien, réhabiliter "l'aboyeur de service" de Maurras et de son "Action Française", là c'est trop !
J'ai encore en mémoire les tristes jours où j'ai été, avec mon collegue Abel Bonnard, exclu de l'Académie française pour une attitude qu'on a jugée, à cette époque trop accommodante avec le pouvoir en place et j'en garde une profonde amertume. La vérité est que j'ai toujours été, à la fois trop pusillanime pour protester et trop légitimiste pour me rebeller. On a jugé ma nature…
Mais Léon Daudet était un ami et quand il est venu se réfugier en Provence en 1940, j'étais des trente personnes qui suivirent ses obsèques jusqu'au cimetière de Saint Remy. Alors, une oraison funèbre…
Pour les gens de ma génération ces quelques mots leur rappelleront des faits qui ont marqué leur jeunesse. D'autres ne seront intéressés que par la vie agitée de "gros Léon ", par ce médecin manqué, cet orateur de talent, ce patriote convaincu qui par ses provocations et son don de polémiste a réussi à créer l'agitation pendant plus de cinquante ans ! Je vous parlerai aujourd'hui de l'homme.
Chers amis,
Il y a maintenant cinquante huit ans, Leon Daudet partait, victime d'une "attaque". Quoi de plus normal pour le redoutable bagarreur, le meneur d'homme qu'il était !
Il était rancunier : A 18ans, pendant ses années de philosophie, il s'est nourri des pensées de Schopenhauer car il parle allemand, non pas parce que c'est la langue de la raison mais parce qu'il faut connaître la langue de ses ennemis, en l'occurrence, "les boches" qui viennent de nous prendre l'Alsace et la Lorraine.
Il était xénophobe : Il s'inscrit à la faculté de Médecine en 1885 mais sa sensibilité résiste mal aux odeurs, au pus, aux autopsies et à l'examen d'internat qui donnera naissance à son premier brûlot, "Les morticoles".C'est donc sans trop de regret qu'il fait son service militaire dès la troisième année et qu'il rentre en politique en adhérant à un journal antisémite dirigé par Drumont dont son père avait financé la publication de sa "France Juive". On pourrait invoquer une Foi catholique exacerbée. Il n'était pas croyant à cette époque. Il croyait simplement aux histoires colportées sur les juifs (assassinats, sacrilèges...).
Il était volage : Il épouse en première noce Jeanne Hugo, petite fille du Grand Victor. Après deux ans de brouille et de réconciliation, ils divorcent en janvier 1995.
Il était anticlérical : Son roman "Suzanne" nous fait découvrir des curés devenus des satires en soutane qui ne trouvent d'ailleurs guère plus de valeurs à ses yeux que les "maçons" ou les "dreyfusards"…
Il était influençable : Comme son père, il épouse en 1903 une "Demoiselle Allard", plus jeune que lui. Sous l'influence de cette jeune femme catholique, royaliste, Léon Daudet à 35 ans fait un revirement complet. A la sortie du mariage, religieux cette fois, les mariés sont ovationnés au cri de "Vive le Roi". Léon est entré dans l'église républicaine, il en ressort, royaliste, monarchiste et catholique convaincu. Il le restera toute sa vie.
Il était arrogant : En devenant Directeur de la revue "l'Action Française", quotidien qui fera parler de lui jusqu'en 1944 et qui tirera jusqu'à 100.000exemplaires, il va posséder un pouvoir de nuire qu'il va mettre au service de la lutte contre la république, les boches et les juifs ! L'affaire Thalamas, agrégé d'histoire "Anti-France" qui mit en cause la virginité de Jeanne d'Arc fera de notre Sainte, la représentante des valeurs de la "ligue d'Action française" et de ses Camelots du Roy. On ne s'en souvient plus de nos jours…
Il était veinard : Après l'assassinat de Jaurès qu'il avait appelé de ses vœux, il s'enfuie en Touraine et est pris dans une collision frontale, en voiture, qui le rend provisoirement hémiplégique. Il est donc réformé et ne mourra pas dans les tranchées pendant la guerre 14/18 !
Il était inconsolable : La mort de Philippe, son fils aîné, lui brouille le jugement. Il y voit une machinerie politique sans jamais accepter le suicide d'un adolescent fragile. Il finira en prison pour diffamation, s'enfuira dans des conditions rocambolesques et écrira de Bruxelles un roman d'amour "Cœur brûlé" qui témoigne d'une réelle sensibilité.
Il a été trahi par les siens : En 1926, le Pape Pie XI condamne "l'Action Française" et demande aux catholiques de ne pas cautionner cet organe de presse haineux. Ce désaveu, même s'il fut levé en 1939, marqua profondément Léon Daudet qui n'était pas agnostique comme Charles Maurras.
Il était patriote : En 1938, il approuve les accords de Munich par défaut bien qu'il ait toujours mis en garde le pouvoir contre l'arrivée imminente de la guerre. Réfugié en Provence et Pétainiste convaincu, comme la majorité des français, il ne verra pas la dérive du gouvernement de Vichy vers la collaboration. Peut-être eut-il fait un grand résistant ? C'est tout à fait possible…
Quand on est à la fois rancunier, xénophobe, volage, anticlérical, influençable, arrogant, veinard, inconsolable, trahi par les siens et patriote, on ne peut pas être totalement méchant ! Ou alors, on peut être tout simplement un français moyen…
Votre dévoué. Philippe Gandillet.
1- DAUDET Léon : Un amour de Rabelais. Roman. Flammarion éditeur, année de l'EO, 1933. 13 € + port
2- DAUDET Léon : Les bacchantes. Roman contemporain. Flammarion éditeur, année de l'EO, 1931. 13 € + port
3- DAUDET Léon : Le rêve éveillé. Etude sur la profondeur de l'esprit. Grasset éditeur, année de l'EO, 1926. 13 € + port
4- DAUDET Léon : Le Napus, fléau de l'an 2227. Roman anti "boche". Flammarion éditeur, année de l'EO, 1927. 13 € + port
5- DAUDET Léon : Les Morticoles. Roman pamphlétaire. Bibliothèque Charpentier éditeur. Nouvelle édition avec préface de l'auteur. 1925. 18 € + port
6- DAUDET Léon : Député de Paris. Période 1920- 1924, « Chambre Bleu horizon ».Souvenirs. Grasset éditeur, année de l'EO, 2eme tirage.1933. 15 € + port
7- DAUDET Léon : Quand vivait mon père. Souvenirs inédits. Grasset éditeur, année de l'EO.1940. 18 € + port
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6 commentaires:
pas totalement méchant... en tout cas, pas totalement gentil ! et je ne crois pas que la majorité des résistants se reconnaitraient dans ce portrait. Je sais bien que les opinions d'avant-guerre ne permettent pas de comprendre le basculement entre collaboration et résistance (de grands hommes de gauche avant guerre ont fait de grands collaborateurs, et des camelots du roi ont fait de grands gaullistes et résistants) mais il me semble que les antisémites "actifs" (en paroles) ont plutôt penché vers la collaboration ?
Tout à fait d'accord avec votre dernière remarque, calamar. C'est pourquoi cette oraison funèbre n'a jamais été prononcée ! Enfin, je l'espère... Philippe Gandillet
Je me demandais si les lecteurs de Céline étaient aussi des lecteurs de Léon Daudet.
Si, oui. Pourquoi ?
Si, non. Pourquoi ?
Pierre
hum... d'un point de vue littéraire (et vu de loin, je ne suis pas familier des oeuvres de ces deux auteurs) je suppose que les Céliniens ne mettent pas Léon Daudet au même plan ! d'ailleurs on ne dit pas daudetiste... même pour son père.
Des œuvres de Leon Daudet, c'est en première intention, "Les morticoles" qui est l'ouvrage le plus recherché.
Comme Céline, ce ne sont pas ses brûlots xénophobes qui sont restés dans la mémoire. Pierre
Avez-vous remarqué la nouvelle rubrique que j'ai mis à gauche des billets ? Cet éphéméride donne quelques dates d'évènements piochés dans les livres...
Dates imaginaires mais néanmoins précises !
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