jeudi 31 mars 2016

Joris-Karl Huysmans responsable mais pas coupable...



Je n'ai pas lu l'ouvrage controversé de Houellebecq : "Soumission". C'est donc sans arrière pensée  que j'ai fait référence à Joris-Karl Huysmans quand il m'a fallu, comme le héros d'un de ses romans, Des Esseintes, extraire l'essentiel d'une librairie ancienne riche de 20.000 livres pour en faire une bibliothèque personnelle qui n'en compte aujourd'hui plus que 1000 ! C'était sans compter sur la sagacité d'un de mes amis, libraire d'ouvrages contemporains, qui met un point d'honneur à lire les livres qui se vendent bien chez lui pour casser la monotonie des heures passées devant son ordinateur à faire de la saine gestion ou de la soporifique comptabilité…  Il m'écrit donc ceci (je résume) :

Je viens de lire ta jolie page sur ton blogue. Je crains que tu ne mesures pas toutes les conséquences de tes actes :

- À l'heure où les relations turco-européennes sont pour le moins "fragilisées",
- À l'heure où la laïcité est portée en étendard par les plus ringards de nos partis et où ses adversaires en Turquie fragilisent l’œuvre de Kemal, 
- À l'heure où le livre "Soumission" de Houellebecq, qui fait de Huysmans un auteur majeur, est présenté comme le signe annonciateur de la fin de notre civilisation, à ces heures sombres donc, tu te places sous le patronage de je ne sais quelle vierge ayant donné naissance à un enfant adultérin, pour conforter Houellebecq dans toutes ses thèses huysmaniennes, dans toutes ses thèses déclinistes et anti-progressistes, n'hésitant pas à faire péter ton bilan carbone pour aller brûler en déchetterie des livres qui sont un formidable réservoir à oxygène cérébral !

Pierre, est-ce bien raisonnable ? Éric. Librairie Lettres Vives. Tarascon


C'est en surfant sur la toile que je viens d'apprendre que le titre du roman de Houellebecq devait, en fait, être "La Conversion". Il avait dans l'idée de raconter l'histoire d'un narrateur (un universitaire amateur des mystiques de la fin du 19eme siècle) se convertissant au catholicisme comme l’avait fait l’oblat Huysmans… Dans "Soumission", c'est finalement la religion musulmane que le professeur doit embrasser pour continuer à enseigner après l'élection de Mohammed Ben Abbes et l'arrivée de la Fraternité musulmane au pouvoir.

Mon Petit Jésus lisant dans les bras de sa mère - voir cliché en couleur dans le dernier billet - fut donc, pour mon ami libraire, la goutte d'eau bénite qui fit déborder le vase déjà bien rempli de la laïcité à la française qu’il prône dans sa boutique.


Je lui suis gré de ce rappel à l’ordre. J’ai trop frôlé les portes célestes depuis quelque temps que j’en ai perdu le bon sens commun ! Nul n’a l’obligation de croire en un Dieu pour avoir une vie et une mort exemplaires. Si faire le bien est une vertu, le faire n’est pas nécessairement une vertu religieuse. Je prône moi-même un altruisme qui découle d’exemples empruntés à des hommes d’origine modeste et cela ne suppose pas d’être né dans des circonstances extraordinaires, ni d’être doué d’un héroïsme au-dessus de la portée naturelle des hommes... Ces vertus peuvent s’appliquer à des vies les plus simples, les plus obscures, les plus dénués de tout intérêt divin.

Mon dessin n’était pas de promouvoir des vertus religieuses louées par Huysmans ou par son laudateur contemporain Houellebecq mais de prôner simplement le bien de l’instruction et la tristesse d'un autodafé involontaire. La consommation sans modération d’échanges de Mathieu Ricard avec ses coreligionnaires en réflexions absconses a, sans doute, enivré mon esprit perméable, ces derniers temps. Je vous promets de relire entièrement les œuvres de Gaston Lagaffe pour lutter contre ce penchant délétère… Pierre

5 commentaires:

calamar a dit…

moralité : même dans le Sud, ne pas abuser du Ricard.

Jean-Paul Fontaine, dit Le Bibliophile Rhemus a dit…

Il est des circonstances qui remettent tout en question, qui obligent à la réflexion, parfois douloureuse, mais qui mène toujours au bonheur.

Nadia a dit…

Tiens... j'entends parler du livre que je vous ai recommandé ?!
Pas abscons le moins du monde monsieur. Je le pratique depuis un bon moment. Et si intéressé, lire, toujours un dialogue entre Matthieu Ricard et, ce coup-ci, un astrophysicien nommé Trinh Xuan Thuan : "L'infini dans la paume de la main" (du big-bang à l'éveil). Un monument ce livre ! un dialogue autour du prétendu antogisme entre la science et la spiritualité, ou comment démontrer que la connaissance spirituelle et la connaissance scientifique ne sont pas si étrangères l'une à l'autre et que leur confrontation n'est pas forcément un dialogue de sourds (je recopie en diagonale le 4ème de couverture).
A ajouter à votre bibliothèque de jardin :-))

Pierre a dit…

Je m'endors en ce moment avec un dialogue à vocabulaire rompu entre Matthieu (le bouddhiste zen), Alexandre (le philosophe blessé) et Christophe (le psychiatre tourmenté). A la lecture de leurs échanges, je me trouve bien heureux d'avoir une vision plus simple et plus apaisée de la vie...

Dans un chapitre où ils abordent le fait que nous ne sommes que les locataires de notre corps, j'ai franchement pensé à changer le mien pour un autre où l'air est plus sain ;-))

Pierre

Nadia a dit…

Bon... je dois te dire (j'arrête le vouvoiement décidément, destiné à "faire sérieux" sur cet espace), qu'à la lecture de ce livre, je me suis sentie plus proche de Christophe André qui, comparé aux autres, mène une vie somme toute normale : des enfants le matin qu'il accompagne au petit-déjeuner, puis il a ses consultations, il va sans doute faire les courses, il conduit sa voiture, etc. Nous nous sentons plus proches de lui que de Mr Ricard notamment, dont la vie a toujours été extrêmement protégée ; il n'a jamais eu aucune possession, sauf 2 ou 3 tenues bouddhistes et quelques livres, baignant dans le bouddhisme depuis ses plus tendres années. Et là, je vais dire que c'est sans doute plus facile, quand on a pas d'épouse, d'enfants, de vie comme nous tous, de proposer ce qu'il propose. Et je pense que je peux englober là-dedans d'autres religions. J'étais un jour en balade à l'Abbaye de Sénanque que j'ai visitée, il faisait glacial à l'intérieur et petit à petit, une impression de malaise m'a gagnée, j'avais hâte de sortir et retrouver le soleil. Dehors, je pense que tu connais le cadre, c'est assez prodigieux. Oui, mais terriblement isolé. Je me suis fait cette réflexion qu'être "enfermé" là pour paraît-il servir Dieu était en quelque sorte "facile". Facile car milieu protégé tout de même, on ne voit quasi personne, on n'est pas confronté aux vicissitudes de la vie, on n'a qu'à jardiner le lopin de terre alloué, vendre ses liqueurs de bénédictine (je sais, je mélange tout) et prier autant que (bon) Dieu nous semble. Ce jour là, je m'étais littéralement enfuie de là, me jurant de ne pas y revenir, mais outre le froid qui m'avait complètement paralysée bien qu'on soit en été, j'ai conservé cette impression de malaise tout le long du trajet de retour.