Cher Pierre,
On me dit que l'attrait grandissant pour le commerce des
livres anciens dans les salles de vente rend la marchandise plus rare chez les
libraires, que vous vous languissez d'une belle succession et présentez des
symptômes inquiétants de dépendance aux livres.
Les envieux murmurent même que les libraires d'ouvrages
anciens vivraient d'imagination et s'enivreraient de rêveries devant des
ouvrages qu'ils ne posséderont jamais. Les braves gens ! On les calomnie, mais on les prend pour plus
sots qu'ils ne sont en supposant qu'ils admirent les riches bibliophiles revêtus
de leur seul prestige mondain alors que, mieux que quiconque, ils en connaissent la
fragilité : ils présentent, comme eux, des signes de bibliophilose*…
Ce qu'ils adorent et vénèrent, en réalité, ce sont les
grands noms de l'histoire de l'imprimerie portés par des éditeurs non moins
remarquables. Je crois que vous avez un faible pour Simon de Colines… Le hasard
vous fera peut-être rencontrer, un jour, un bel exemplaire à la vente à un prix
décent. Je l'espère, en tout cas, pour votre prompte guérison !
Il ne faut donc pas s’étonner de votre mélancolie. Qu’ils se
montrent courtois ou revêches, modestes ou plein de morgue, tous les libraires
se troublent à l'évocation d'éditions rares ou de reliures somptueuses. Ils
revoient, Baskerville, Bodoni, Cassandre, Didot, Elzevir, Frutiger, Garamond,
Jenson, Morisson, Peignot, Plantin, ou même Cazin tombant sous le coup d'une
balle perdue dans un passage parisien en sortant de son déjeuner…
Comme une volée d'oiseaux bleus et de papillons d'or, cent
images étincelantes, autant de songes à paillettes tournoient dans la cervelle
de leurs hôtes bienveillants. Les premiers symptômes de la bibliophilose sont en
place. La maladie se traduit ensuite par une addiction au clavier de l'ordinateur,
par la lecture compulsive de catalogues et, en phase terminale, par la recherche pathétique
d’incunables sur « leboncoin.fr »…
D'accord, il se peut que le libraire résiste au virus mais
cela est rare ! Seuls quelques professionnels analphabètes restent d'honnêtes
commerçants uniquement attirés par le gain. Les autres font de folles enchères
et survivent maladroitement. Avouons même que certains usent ordinairement du
Fléty ou du Brunet comme d'une drogue afin de mieux se bercer des évocations du
passé et de se perdre plus aisément en ravissantes flâneries parmi les
rayonnages de leur bibliothèque.
C'est pour oublier la triste époque où nous vivons que le
libraire se réfugie dans sa boutique et qu'il accueille avec un dilettantisme
de raffiné le client de passage d'un salut cordial. Il sait, en fait, que son
mal est fatal. La prophylaxie de la bibliophilose passe par l’achat de livres :
le remède est le mal.
Seul un immortel peut aimer les livres sans risque pour sa santé… Votre
dévoué. Philippe Gandillet
* M.L.C (Maladie littérairement contagieuse)
6 commentaires:
Je propose à Maître Gandillet, une prochaine fois, de traître de la Bibliophilite, infection aigüe dérivant lentement vers le chronique, autrement plus grave que la Bibliophilose... mais c'est une autre histoire.
B.
Les infections en ite [Curiosite, etc...] appartiennent à la redoutable famille des M.S.T (maladie sérieusement transmissible) dont le pronostic s'améliore avec l'âge... malheureusement ! Ph Gandillet
Une precision medicale, Maitre Gandillet: les infections en "ite" sont des affections congestives qui touchent tous les ages.
Dans la force de l'age, les symptomes sont bruyants, a peine attenues par les attentions infirmieres.
Pour l'age de raison, deux formes sont classiques: suivre une amazone jusqu'a essoufflement ou s'assoir dans son fauteuil, un verre ecossais dans une main et un ouvrage dans l'autre,le labrador rechauffant ses mocassins.
J'ai choisi la deuxième solution, Christophe !
Mais je ne dis pas qu'en me rasant le matin, parfois, je ne l'ai pas envisagé avec circonspection...
Pierre ;-))
Il y a du Chateaubriand dans Philippe Gandillet !!
Bon,à part cela chercher des incunables sur le Boncoin.com c'est grave docteur ! :)
T
Chercher des livres dans "leboncoin.fr" est une démarche qui me dépasse, Textor... Mais je sais que certains le font avec bonheur.
Philippe Gandillet sera surement content d'apprendre qu'il se hisse vers son modèle. Ils ont déjà en commun d'être nés au même endroit.
Pierre
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