Pierre, qui vient d'acheter un petit ouvrage original en salle des ventes, me demande de le présenter à sa place tant il craint que la présentation de cette petite rareté soit néfaste à sa réputation. Certains savent déjà qu'il aime Charles Maurras (l'écrivain) et qu'il possède l'intégralité de l'œuvre de Léon Daudet (régionalisme oblige). Il n'en faudrait pas plus pour qu'on le taxe d'antisémitisme !
C'est que le temps de l'antisémitisme de circonstance du début du XXe siècle ne s'est pas évanoui insensiblement et par une altération imperceptible. Il a péri de mort violente à l'évocation des horreurs de la shoah. Il ne peut plus s'apercevoir, de nos jours, qu'au travers d'immenses bouleversements de frontières ou d'événements religieux dans certains pays. Le monde au sein duquel nous nous sommes formés à la vie est un monde foudroyé. Nous vivons comme nous pouvons dans le désordre de ces ruines, ruines elles-mêmes inachevées, ruines qui menacent et qui nous entourent de circonstances pesantes, au milieu desquelles le visage palissant du passé nous apparaît avec ses bassesses…
Au sortir d'une crise si violente, après un si grand bouleversement et une tension si prolongée des esprits, l'humour s'est fait bien différent de ce qu'il fut. On trouvait alors autour de soi, à la fin du XIXe siècle et au début du XXe, une disposition tout autre et des ambitions bien cachées. Ce groupe d'écrivains et d'illustrateurs qui avait dressé devant nous quantité de miroirs convergents a disparu avec ses anathèmes.
Assis sur les degrés de l'amphithéâtre intellectuel qui s'élève de cette obscurité nauséabonde jusqu'à la gloire de la pensée éblouissante (sic), nous pouvons aujourd'hui choisir le côté de nos préférences. Il serait démodé de chercher des rives à notre pensée quand les bords ennemis sont maintenant unis sous le drapeau de la tolérance. La diversité est dans l'air intellectuel, qu'on se le dise, et ce sont les exceptions à la règle qui en deviennent les porte-paroles…
Voilà pourquoi un ouvrage sur l'humour judéo-alsacien doit être considéré aujourd'hui comme un document à diffuser sans complexe. De plus, cet ouvrage a été écrit par un rabbin, ce qui en légitime l'édition. L'auteur : Simon Debré (1854-1939). Son nom vous dit sûrement quelque chose ?
La famille de Simon Debré est originaire de Bavière. En 1808 les deux frères Moyses choisirent simultanément le nom de Déprés qui se fixera sous la forme de Debré. Ils ont tous deux assumé les fonctions de chantre (hazzan). A titre de curiosité, on notera qu'au recensement de 1848, les frères Jacques et Simon Dépré sont tous deux inscrits comme courtiers en conscrits ?
Né à Westhoffen dans le Bas-Rhin en 1854, Simon Debré suit les leçons de Talmud du rabbin Salomon Lévy de Brumath, puis celles des maîtres de la Yeshiva de Wurtzbourg, en Allemagne, et c'est là, sans doute, qu'il se perfectionne aussi dans la langue allemande, qu'il enseignera plus tard aux officiers de la garnison et, à un certain moment, au collège municipal de Sedan. Après des études à l’École Rabbinique de 1873 à 1879, il est nommé rabbin de la cité ardennaise et occupe ce poste de 1880 à 1888.
En 1888, il est nommé rabbin de Neuilly-sur-Seine. Il est aussi professeur de Talmud au Séminaire Israélite, aumônier du Lycée Janson de Sailly à Paris et enfin promu grand rabbin à titre personnel. Ses principales œuvres sont des traductions à l'attention des fidèles mais vers la fin de sa vie, il écrit L'humour judéo-alsacien , un délicieux petit livre, tout imprégné des saveurs du terroir et de cette tendre et hilarante ironie dont l'âme alsacienne ne se départit jamais, contribuant ainsi à sauver de l'oubli un nombre considérable de dictons et de sentences alsaciens. C'est cet ouvrage que je vous propose aujourd'hui à la vente. Bien relié, il est en très bon état de conservation.
Je reprends quelques expressions qui m'ont bien fait rire et qui sont fort bien expliquées.
- Heureux ceux qui sont assis
- Il va à reculons
- Chez celui-là, l'usage consiste à ne pas donner
- Certains jours de demi-jeûne
- Libertin, dépensier
- Il doit tout ce qu'il possède
- Celui qui permet les choses défendues
- Il est lent à la colère
- Il va à reculons
- Chez celui-là, l'usage consiste à ne pas donner
- Certains jours de demi-jeûne
- Libertin, dépensier
- Il doit tout ce qu'il possède
- Celui qui permet les choses défendues
- Il est lent à la colère
J'en profite pour vous conter une petite blague qui fait beaucoup rire les catholiques :
Un vieux Juif meurt et rencontre Dieu en arrivant au paradis. Il fait le bilan de sa vie :
- La pire chose qui me soit arrivée, c'est quand mon fils s'est converti au christianisme..., dit-il.
- Moi aussi, lui répond Dieu.
- Et qu'est-ce que vous avez fait? demande le Juif.
- Un nouveau testament...
Votre dévoué. Philippe Gandillet
DEBRE (Simon). L'humour Judéo-Alsacien. Paris, éditions Rieder, 1933. Petit in-8 de 307pages. Reliure demi basane cerise, dos lisse orné de filets et pièce de titre en lettres dorées. Bel état. Cachet de bibliothèque. Très rare à la vente. Vendu
11 commentaires:
Bon, on va peut-être dire que je suis ch… euh, maniaque, mais il me semblait qu'une pièce de titre c'était justement une pièce rapportée, en l'occurrence un petit bout de peau sciée d'une autre couleur que la reliure et où l'on poussait le titre, et que quand le titre était poussé directement sur la reliure, on parlait… ben, de titre.
Me serais-je abusé ?
Pascal, vous ne vous êtes pas abusé ! Je ne modifierai la notice que dans deux ou trois jours. Je ne voudrais pas qu'on vous croit ch... euh, maniaque sans raison. Ph Gandillet
Dis, monsieur le libraire, c'est quoi "pousser le titre" ? il me semble que la leçon de rénovation de reliure que vous m'avez donnée récemment souffre de quelques manques.
Pousser le titre c'est marquer le titre en utilisant plusieurs fers qui sont chacun une lettre, en poussant fortement sur le fer pour laisser l'empreinte. Si le fer est enrobé d'une feuille d'or, les lettres sont dorées... Il faudra reprendre des leçons, Nadia ;-)) Pierre
Un lecteur anonyme m'a téléphoné aujourd'hui pour me faire des éloges sur mes billets. Il se reconnaitra, c'est un amateur de Henri de Regnier... Il a insisté pour s'inscrire en tant que membre anonyme. Ne cherchez pas ! C'est automatique et cela ne se voit pas. Mais cela me fait extrêmement plaisir ;-)) Pierre
Pour que Nadia ne s'y perde pas, on pourra préciser que les lettres ne sont pas poussées une par une mais d'abord assemblées dans un composteur pour former des mots.
Quant à la technique (tarasconnaise ?) qui consiste à enrober le fer d'une feuille d'or, je la connaissais pas celle-là, té, coquin de sort…
; D
Vous avez encore raison Pascal (Grrrrhhhh). A vouloir simplifier pour expliquer, on dénature le vrai travail de la dorure à la feuille. Il se trouve que je ne suis pas spécialiste et j'ai donc peu de scrupules à massacrer la technique des "lettres du titre poussées" ;-)) Pierre
Bon, ce qu'on demande avant tout à un libraire c'est d'aimer les livres. Et de ce côté-là on sait que vous n'avez pas votre pareil. Donc la vie est belle.
Pour les amateurs de technique, la feuille d'or (ou le film d'œser) est placée sur une première trace laissée par le fer sur le cuir, puis on applique de nouveau le fer dans la trace (qu'on ne voit plus trop d'ailleurs, et pour cause). Et éventuellement on recommence trois ou quatre fois avec une nouvelle feuille d'or. (Notez que c'est un truc que je serais bien incapable de réaliser pour l'instant…)
c'est pas possible, ils sont tous célèbres sur 4 générations, dans cette famille ! entre les rabbins (enfin, un rabbin), les médecins, les politiques, le peintre... j'imagine le pauvre inconnu (si, il doit bien y en avoir) dans une réunion de famille, les complexes qu'il doit avoir...
Me faut un cours en live, rien ne vaut le vécu !
Vous soulevez un problème important, Calamar. Si dans une famille, la tradition est de faire des enfants au destin exceptionnel, qu'adviendra t-il dans les réunions de famille de celui qui a décidé d'être boucher-charcutier à Sirod, petit bourg de 600 habitants dans le Jura ?
Cela me rappelle une série de dessin dans une revue professionnelle où différents cabinets vétérinaires mentionnaient sur leur devanture "Meilleur vétérinaire du monde" pour l'un, "Meilleur vétérinaire d'Europe" pour l'autre, "Meilleur vétérinaire de France" pour le troisième. Le seul où il y avait du monde, il était écrit "Meilleur vétérinaire de la rue" !!!
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