lundi 13 juin 2011

Causerie du lundi de Philippe Gandillet : Paul Nyssens et la valeur de l'argent…


Je trouve ce matin, en arrivant à la boutique de Pierre, une petite photographie posée sur la banque d'accueil. Elle représente notre boutiquier assis sur sa dernière acquisition. Une Harley-Davidson ; le modèle "Fat-Boy", un des plus onéreux...

Son sourire hilare en dit long sur sa joie. Quand je pense que je l'ai connu, simple vétérinaire, vivant chichement de quelques consultations pour nourrir sa nombreuse famille, je me dis que le chemin qui l'a mené de la précarité la plus chiche à l'aisance matérielle insolente a été bien court ! Faire fortune en vendant des livres anciens… Qui eut cru que le concept fonctionnerait à merveille ? Qui eut pensé que l'indigence de sa culture passerait inaperçue aux yeux des plus exigeants bibliophiles ?


Je l'ai déjà dit, ma bienveillance à son égard s'expliquait par le constat qu'il fallait permettre à ceux qui sont trop peu doués, de cultiver un instinct essentiel au succès de la vie. Mais si certains en sont presque dépourvus, le sens acquisitif prend chez d'autres un développement trop grand et ces derniers n'ont pas à s'en féliciter, car ici comme dans bien d'autres domaines, l'excès est aussi préjudiciable que l'insuffisance.


En vertu d'une loi reconnue, tout centre cérébral dont le développement est prédominant a une tendance à agir et à devenir de plus en plus actif s'il n'est pas tenu en bride. Si l'activité croissante de notre libraire a exigé qu'il achète de nombreux ouvrages, le désir de posséder toujours davantage s'est développé conjointement. C'est pourquoi les industriels devenus milliardaires et pour lesquels l'utilisation de leur richesse devient un problème ardu, continuent leur labeur aussi longtemps que leurs forces le leur permettent, et sont dominés par l'ambition d'augmenter indéfiniment leur fortune. Je ne suis pas comme cela, heureusement…


L'égoïste préoccupé exclusivement d'amasser de l'argent ou des richesses matérielles oublie qu'il existe d'autres biens, non moins nécessaires : Une bonne réputation, des amis, des sympathies, l'estime des honnêtes gens, une bonne santé, un caractère gai et enjoué, etc… La bonne étoile a fait croiser mes pas de ceux de Pierre mais ces signes extérieurs de richesse qu'il arbore de façon ostentatoire finiront par user ma bienveillance et ma patience. Je lui dis souvent : "Pour connaître la valeur de l'argent, il faut connaître la valeur des autres biens. Les bons riches apprécient les biens en lesquels l'argent peut être transformé, et l'on ne saurait le convertir en ce dont on ignore la valeur !". S'offrir, comme il le fait maintenant, des engins motorisés sans même en demander la valeur, ne sera jamais un moyen d'accroitre son bonheur.


En édifiant sa fortune, il faut bien prendre garde de ne pas en devenir l'esclave. Je le répète à Pierre mais je le dis aussi à tous les libraires d'anciens qui nous lisent et qui vivent une exceptionnelle période d'embellie financière : La fortune employée sans discernement ; cette moto tourne très mal dans les virages ; diffère peu de l'indigence et peut être préjudiciable à la bonne santé.


Le délassement, le plaisir, les bonnes et saines distractions quand elles s'éloignent du stupre et de la licence, ne rentrent pas dans la catégorie du superflu, où les utilitaires les caseraient volontiers, mais dans la catégorie du nécessaire. Il est mauvais qu'un homme (ou une femme, bien sûr) s'applique à son labeur jusqu'à y perdre son entrain et sa joie. Sachez entretenir vos moyens, arrêtez-vous quelquefois pour acheter un livre, privilégiez d'ailleurs les ouvrages anciens qui sont de belle facture, apprenez l'art de vous délasser en lisant, c'est un des privilèges les plus doux de l'humanité…


Voici un ouvrage qui sera à la fois agréable à lire, instructif et dont l'enseignement vous évitera des erreurs de jugement sur les gens. Il vous aidera à reconnaître le caractère des personnes sur leur physique. Encore fallait-il y penser !!


Paul Nyssens est un auteur et éditeur belge (1870-1954). Ingénieur civil de formation, il découvre la psychologie appliquée et la phrénologie et en devient un promoteur actif, abandonnant toute pratique des sciences appliquées. Il fonde en 1906 à Bruxelles l’Institut Nyssens, établi à son domicile. Il publie et écrit des ouvrages de psychologie populaire mais aussi de vulgarisation au sujet de la santé et de la gestion de soi dont un certain nombre traduit par ses soins. Il diffuse son savoir par des conférences publiques et des formations par correspondance. Il était par ailleurs végétarien, comme quoi on ne peut-être parfait… Votre dévoué. Philippe Gandillet


NYSSENS (Paul). Le sens des valeurs. Deuxième édition. Bruxelles. Librairie de culture humaine. 1918, Broché in-8, 187pp, nombreuses illustrations. Peu fréquent à la vente. Vendu

11 commentaires:

Nadia a dit…

Bon... je me lance.
J'achète mon premier "livre ancien" !
Vous me le postez, cher ami ? je vous maile mon adresse derechef.

(vous en jetez sur votre bécane...)

Pierre a dit…

Je dois prévenir le lecteur que les auteurs de cette époque ne s’embarrassaient pas du "politiquement correct" et qu'on ne doit donc pas s'offusquer de voir l'affairiste représenté avec un nez crochu et le paresseux avec la lèvre lippue... Témoignage d'une époque. Ph Gandillet

Nadia a dit…

Pierre, je pensais que vous le saviez : je ne suis pas non plus politiquement correcte. J'en veux pour preuve ma vie dissolue.

Anonyme a dit…

Salut Pierre
Quelle bouille, quelle candeur sur cette motoqui clette, ton pot qui tête de la gaze aux Line. Pouf pouf pouf, c'est toi qui t'y colles, il faire partir un pouf sans retard car à bien distinguer l'écho des sons, comme dans un clip de Madonna ce qui compte c'est le son... quelle musique ce pot d'HARLEY et peu d'élus! Beaux Arts quel mythe! Motorbyke, mobortic, comorrhe bite, orgie verte en verve, mazette quelle jolie mob!Cette mob sent un peu l'azote. J'espère qu'avec telle mob, tu ne seras pas blasé. Il est vrai que quand tu étais jeune, tu as dû rêver de traîner ta mob dans les bouses tandis que des raseurs les négligaient (leurs mobs, c'est du bien sur). Je n'en ai plus pour le moment. J'espère que tu ne m'en voudras pas de cette pétarade contrepétique. Bien à toi.
Guy Lesoeurs

Anonyme a dit…

Le type facial du mauvais homme d'affaires paraît correspondre à John Davison Rockfeller...
La moto brille, elle étincelle, elle rutile, elle est coruscante ! On la croirait bichonnée autant que la voiture neuve de monsieur Arpel (une Simca Chambord ?) que madame Arpel frotte sans cesser à l'aide de son chiffon à poussières ("Mon Oncle" de Jacques Tati).
Pierre, le casque !...

Jean-Michel

Pierre a dit…

Je m'en vais lire ça à tête reposée, Guy. Je préfère, de toute façon, les contrepétries des amis à l'envolée des incultes. Pierre

Pierre a dit…

Certains portraits mettent mal à l'aise, Jean-Michel. Le type affairiste N°II que je n'ai pas oser présenter mentionne : Sourcils abaissés, yeux à demi fermés, nez commercial (sic)[....], L'esprit mercantile est inscrit dans cette physionomie... Pierre

pascalmarty a dit…

La voiture d'Arpel serait plutôt une Chevrolet BelAir. Une américaine, en tous cas, comme la monture chromée de notre ami libraire.
Je ne ferai pas de commentaire sur le bouquin présenté. Ce « témoignage d'une époque » est assez effrayant…

Pierre a dit…

Effrayant, car on connait les conséquences de l'antisémitisme et du racisme. Instructif, car ils reflètent une époque et permettent de mieux comprendre l'histoire. Amusant, car ce sont des caricatures, malgré tout. Quelquefois de bon sens car nier qu'il y ait une interaction entre le physique et le mental serait nier la physiologie...

Une partie du texte donne aussi de judicieux conseils culinaires pour la digestion qui ne serait pas sans effet sur le caractère. Pierre

Anonyme a dit…

Oui en effet pascalmarty, une Chevrolet Bel Air modèle 1956.
C'est mon imaginaire de tout petit garçon qui me faisait figurer une Chambord qui, à l'époque, me paraissait grosse comme une américaine ; la physiognomonie appliquée aux voitures ou comment s'ancrer les idées préconcues.

Jean-Michel

pascalmarty a dit…

Le poussif V8 latéral des Chambord était d'origine Ford, et leur esthétique, notamment la peinture deux tons et les ailerons pointus, lorgnait nettement du côté des States. Au demeurant, c'est une voiture qui a marqué aussi mon enfance puisque en 1958, pour remplacer son Abeille, mon grand-père avait fait l'acquisition d'une… Marly (crème et vert foncé) et que cette voiture est restée garée dans le jardin très longtemps après sa mort.

(Oui, oui, je sais… mais c'est que je n'ai décidément rien à dire sur ce fichu bouquin… ; ))