Une pensée amicale pour tous les anciens lecteurs du blog et
pour tous les clients de la librairie qui m'ont amené tant de joies par le
passé. Ce petit message vous est adressé aujourd'hui pour vous dire que je
continue à me battre pour retrouver un équilibre malmené par cette foutue tumeur
cérébrale (appelons un chat, un chat) qui me ronge et par tous les moyens mis à
disposition par la science pour la juguler. Une de mes plus grande tristesse - il y en a d'autres malheureusement - est de
ne plus pouvoir profiter des livres qui me restent, ni physiquement en raison de ma maladresse, ni mentalement
car j'ai perdu, pour l'heure, la flamme qui brûle dans le cœur des amoureux des livres.
Il est difficile d'expliquer les raisons qui font que l'on
perd cette passion qui nous a animé toute notre vie. Je comprends mieux
maintenant, pourquoi, parfois brutalement, la lumière ne brillait plus au fond
des yeux de mes anciens clients. Ce n'est pas pour rien que l'on appelait autrefois
ces affections cérébrales, des "attaques" ! Aujourd'hui, on est plus
précis sur l'étiologie de ces maladies (vasculaires, tumorales, dégénératives,
etc) mais le résultat est le même. Il y a des attaques - petites ou grandes,
fulgurantes ou larvées - où l'on sort vaincu du combat, où le renoncement
s'installe.
Ce détachement, j'ai essayé de l'acquérir volontairement au
début de ma maladie par la lecture d'ouvrages très "tendances" écrits
par des philosophes, des psychiatres et d'adeptes de la méditation qui m'ont
aidé à surmonter les premières évidences auxquels j'ai dû faire face. Il m'a
fallu fermer ma boutique en sachant que la porte serait probablement et définitivement
close. J'ai mis mes livres dans des caisses, j'en ai ramené sur mes étagères,
j'en ai donné, j'en ai jeté… j'ai pensé que cette première phase n'était qu'une
parenthèse dans le cours de ma vie et que la passion pouvait encore renaître comme
l'étincelle briller de nouveau dans mes yeux.
Quand ma main gauche s'est minéralisée au bout de mon bras
pendant, quand mes muscles se sont crispés, quand la souffrance s'est immiscée
dans ma vie quotidienne, quand une paresse intellectuelle s'est progressivement
installée dans mon pauvre cerveau
bouleversé, alors… alors, je n'ai plus eu à faire d'efforts pour me
détacher de mes livres… c'est donc sans remord - et non pas sans regret - que
j'ai confié ceux auxquels je tenais le plus à des confrères expérimentés.
J'avais trop écrit que je n'étais qu'un passeur de livres pour les rendre
orphelins ou pis encore de les abandonner à un mauvais sort.
Aujourd'hui, je termine une série de chimiothérapies qui ont
pompé toute mon énergie et m'ont rendu encore plus vulnérable. Alors que j'ai
rapidement intégré le constat de ma perte d'autonomie, j'ai encore du mal à
admettre mon infirmité. On ne fait pas facilement le deuil de sa
bonne santé ! Pour survivre, Je me suis raccroché à ce que j'ai pu. J'ai
souvent coulé. Parfois, quand je croyais toucher le fond, il s'esquivait sous
mes pieds. Mais je suis encore là…
Demain, j'espère, je
reprendrai espoir, j'arriverai à chasser de mon esprit les tristes pensées qui
me minent et je retrouverai l'apaisement
: je ne serai plus prisonnier de la maladie. La meilleure façon de ne plus y
être n'est-elle pas de le faire de son vivant ? Je vous souhaite mes meilleurs
vœux pour cette année 2017 qui commence et sur laquelle je fonde beaucoup
d'espoir pour guérir. La flamme dans les yeux reviendra : ce n'est qu'une
question de patience. Très amicalement. Pierre Brillard