Serre ton bonheur et va vers ton risque
A te regarder, ils s'habitueront…
A te regarder, ils s'habitueront…
Cette citation de Bertrand Touvenel a dû porter le projet de reconversion de notre libraire tarasconnais comme elle doit porter, aujourd'hui, celui de Pascal Marty, un lecteur du blogue, qui s'est pris de passion pour la typographie et qui nous présente sa dernière réalisation.
Je le laisse mener l'article à sa façon. C'est très technique tout ça et il y encore peu de temps, je confondais "police" et "caractères"…
Au départ, il y a eu un bouquin chéri, Les Chapardeurs de Mary Norton, avec ses magnifiques illustrations de Lars Bo, cru perdu puis retrouvé et dont je me suis décidé à faire une réédition numérique à l’identique (en recomposant tout dans InDesign, au cas où) après m’être aperçu en parcourant Internet qu’il ne courait plus les rues. Il y avait aussi l’idée de pouvoir en faire profiter des amis qui n’avaient pas la chance de posséder l’ÉO.
Peut-être un an plus tard, il me toque de lire les Essais de Montaigne dans le texte. J’aime bien la saveur que prend un texte ancien dans sa stricte version originale. Et que je te rapatrie une version trouvée sur Google ou Gallica, je ne sais plus. Mais vous savez ce que valent ces numérisations ;-)) Une fois imprimées elles sont tellement moches qu’elles vous couperaient plutôt l’envie de lire. Alors, me dis-je, pourquoi ne pas faire pour Les Essais ce que j’ai fait pour les Chapardeurs ? J’épluche les caractères dont je dispose. Je trouve un Caslon pro de chez Adobe qui se rapproche de bien près de l’original et possède le s long et pas mal de ligatures. Je parviens à me fabriquer les lettres qui manquent, genre e ou q tilde. Je fais quelques essais pour déterminer corps, approche et interlignage, et c’est parti ! Ligatures et lettres bizarres sont installées dans une petite casse numérique à déplacer de page en page pour pouvoir les récupérer facilement par copier-coller. Heureusement que c’est écrit gros et que les pages ne sont du coup pas trop remplies, parce que, rien que dans le Premier livre, il y en a quand même 500 !…
Pour ce qui est de la frise et de la lettre grise (on dirait aujourd’hui la lettrine) de la première page, je dois bien me rendre à l’évidence qu’il ne sera pas possible d’utiliser les versions numérisées récupérées. Elles sont tellement pourries qu’elles feraient vraiment trop vilaine figure à côté de l’aspect impeccable de la fonte numérique. En somme, mon seul choix est de les redessiner à la main. Si ç’avait été des gravures sur cuivre j’aurais été fort ennuyé car le travail aurait dépassé mes compétences. Mais c’est des bois de fil, c’est donc envisageable, et après quelques tentatives plus ou moins laborieuses je finis par obtenir un résultat acceptable.
Et finalement, au bout de trois mois de boulot, je dispose d’une belle recomposition à l’identique du Livre premier des Essais. Un peu plus petite que l’original dont les pages mesurent 30 cm de haut, certes, mais où tout est exact : Orthographe (d’autant plus piégeuse que le même mot peut parfois être orthographié de trois manières différentes sur une même page), règles de ponctuation, disposition des espaces et même… coquilles ou erreurs de foliotage (et elles sont nombreuses).
Mais puisqu’il y avait au moins un farfelu (moi) pour avoir envie de se retrouver dans la peau d’un lecteur du XVIe sans avoir à se mettre en quête d’une Édition Originale introuvable ou proposée de toutes les façons à un prix à cinq chiffres, j’ai supposé qu’il pouvait peut-être s’en trouver d’autres, dans le vaste monde des gourmands de la langue française. C’est pourquoi j’ai décidé de tenter de créer les éditions du Visorion , avec la perspective, au delà de ce Montaigne, de rendre accessible au Public (j’adore le côté vieux style que prend le public dès qu’on lui rajoute une cap) , un certain nombre d’ouvrages qui ne se bousculent pas, et pour cause, sur les rayonnages des libraires d’ancien.
Et comme de nos jours, dès qu’on a une idée c’est sur Internet qu’il faut la présenter, mon premier soin a été de mettre en ligne un site. Et comme de nos jours, pour qu’un site marche, il faut lui adjoindre un blogue, j’ai donc adjoint. Mais à vrai dire j’espère que ce blogue (De choses sues ou oubliées) fera d’abord plaisir à tous les doudingues dans mon genre, amoureux de la langue, de la littérature et des livres, et curieux aussi du rapport que ces choses entretiennent avec l’art technique qui les lance – encore – dans le monde, à savoir l’imprimerie.
Ah, au fait !! Le visorion c’est le support que le typographe installait sur sa casse pour avoir sa copie à hauteur d’œil. Pascal Marty
Il faut de l'audace pour entreprendre un tel projet. Les bibliophiles qui animent les blogues en ont tous. Hardiesse, courage, bravoure, vaillance, témérité, assurance, aplomb, fougue, culot sont de jolis mots, aussi… Votre dévoué. Philippe Gandillet
17 commentaires:
Je suis scotchée !
Bravo à Pascal qui nous démontre, si on ne le savait déjà, que la passion peut nous mener loin ! bravo...
Un grand merci, Pierre, pour ce petit coup de projecteur. C'est vrai qu'il y a eu des moments où je me suis senti un peu seul face à ce projet. Là, ça va déjà beaucoup mieux… : D
Il y a Pierre Menard, auteur du Quichotte, il y aura maintenant Pascal Marty réécrivant les Essas.
Bravo pour l'entreprise, au moins l'EO des Essais n'a plus de secrets pour vous ! Devant, l'effort que cela nécessite j'aurais sans doute préféré débourser les quelques dizaines de milliers d'Euros, mais au bout du compte, le résultat n'est pas le même. Seul, Vous, pouvez dire que vous "possèdez" l"édition originale au plein sens du terme !
Textor
Une petite précision quand même. Le frontispice de l'édition de 1659 a été rajouté par Pierre (ou par Philippe Gandillet, va savoir). Nul doute que j'aurais sans doute renoncé à la refaire moi-même avec mes petites mains. (Au reste, c'est sur l'édition bordelaise de 1580 par Simon Millanges que j'ai travaillé.)
@Textor : merci pour l'allusion à Borgès. J'envisage d'ailleurs une prochaine réédition du Livre de sable, qu'il ne faudra par contre pas emporter sur la plage… ; )
un truc de fou Pascal ! Vous avez sans doute récupéré une version pourrie de Google... Pour ma part pour faire plus simple j'aurais demandé une copie à la BNF (version brochée en fac-similé pour 52 c la page - à partir de 200). Votre version est chère ! En tout cas vos reliures sont belles ! Bonne chance pour votre projet en tout cas !
C'est parce que le projet de Pascal est un peu fou et qu'il vise l'excellence que cela nous touche. Une version photocopiée ne supportera, de toute façon, jamais la comparaison !
Merci, en tout cas, Leo, pour le tuyau. Je ne savais pas que la BNF offrait ce type de service, et pourtant je déjeune assez souvent avec Bruno Racine et Dominique Jamet quand je vais à Paris. Il faut dire que, en dehors des bagnoles, on ne parle jamais de choses bien intéressantes... Ph Gandillet
Voilà, c'est l'info qui nous manquait ! Bruno Racine s'intéresse aux bagnoles, on comprends mieux pourquoi il organise en ce moment à la BNF une expo sur Richard Prince, le bibliophile beatnik, celui qui encastre des capots de cadillac dans du béton pour faire Art. Vous avez vu celle qui trone devant le Palazzo Grassi, acheté par Pinault ?
On sait tous les dessous des potins parisiens avec PHilippe Gandillet!
J'ai un petit regret pour la reliure et ai médité longuement avant de donner cet avis, de peur de blesser. je trouve le travail de recomposiotion et le concept remarquable quant au défi qu'il represente... Un vrai chemin digne d'une certaine philosophie de vie; bravo pour cela et pour le travail.
En ce qui concerne la reliure, et vu le prix de vente, quelque chose de plus autenthique m'aurait plus, plu. un papier marbré main et des couleurs moins criardes, un mors au quart voir au cinquième; mais ce n'est que mon avis et je suis honnéte,toujours bienveillante dans mes critiques, donc ,voilà, je vous la livre tel quelle, comme je pense les choses, droites dans mes chaussures.
Et ceci, afin de vous faire progresser;
bien à vous,
Bonne soirée
sandrine.
C'EST du papier main, Sandrine… À 15 euros la feuille si vous voulez le savoir. La photo numérique ne rend pas vraiment justice des couleurs, beaucoup moins criardes dans la réalité (là c'est vrai que ça agace un peu l'œil). Les mors sont au tiers, bien des gens estiment que c'est la bonne dimension.
Quant au prix, si j'en crois Léo, avec 500 pages à 52 centimes, une photocop de la BN reviendrait à 250 euros. Je suis pas persuadé que c'est avec ce truc que je vais enfin faire fortune…
Effectivement, cela ne se voit pas avec la photo. Quant au mors au tiers, c'est un point de vue et une question d'age. Le mors au tiers est une proportion qui date des années 60/70.
Aujourd'hui, on tend à le faire plus petit, mais je conçois qu'il y ait des gens qui aiment cette proportion. les professionnels formés aprés les années 80/90 ,bien qu'ils conseillent leurs clients de reduire cette proportion incongrue, se retrouvent confronter à cela.
Essayez moins, vous allez voir, à l'oeil, c'est plus joli... Une histoire de nombre d'or et de diagonale.
j'espére pour vous que cela marchera.
Bien à vous; Bonne soirée
sandrine.
Ca fait plaisir à voir des passionnés !...
La taille des mors est une mode... Les personnes qui ont appris à les faire au tiers les veulent au tiers, idem pour le quart et cinquième. Pour prendre un autre exemple équivalent : Avant les femmes ne s'épilaient pas et tout le monde trouvait ça sensas. Aujourd'hui, c'est pleine peau, au tiers, au quart ou au cinquième et tout le monde trouve ça sensas !
NB : Je ne sais pas si mon exemple est bien choisi ;-))
Pascal, vous avez le même problème que moi avec les photos. Mes exemplaires à la vente sont toujours plus beau en vrai qu'en photo. Pierre
Sacré Pierre, on ne vous refait pas ! voilà qu'on aborde la taille des mors, et immédiatement cela vous fait penser à la plus belle conquête de l'homme !
Cela va payer quand vous serez inscrit sur la liste des experts en livres anciens et que vous rédigerez des catalogues pour les SVV; J'imagine déjà la notice : "La Henriade, l'édition in-quarto, Londres 1728, basane à poil ras, dos racé, roulette dorée sur les croupes, papier dominoté genre dalmatien, armes en queue, laquelle queue remue quand on ouvre le livre, rare dans cette condition, cherche un maitre »
:):)
T
Bravo Pascal pour avoir mené à bien un tel projet. Cela est très inspirant de voir le magnifique résultat de la passion, de l'enthousiasme et du travail. Aimée
Je ne pense pas aux femmes tout le temps, textor, mais je dois reconnaitre que, quelquefois, en me rasant le matin, au tiers, au quart ou au cinquième...
Pour ce qui est de mon inscription sur la liste des experts judiciaires, j'y pense aussi. Le côté martyr a l'air sympa ! Pierre
(morte de rire)
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