lundi 30 août 2010
Causerie du lundi de Philippe Gandillet. "La plus belle bibliothèque du monde".
Il est loin le temps où Remy de Gourmont pouvait nommer les Quais, "la plus belle bibliothèque du monde". Un article récent dans un périodique et une semonce des services de la mairie de Paris aux propriétaires des "boites" nous le rappelle, aujourd'hui. Certains bouquinistes des quais sont à l'amende et pour cause… On peine quelquefois à trouver leurs livres sous les Tours Eiffel !
Installés en plein centre de la capitale, au bord du fleuve, leurs étals sont inscrits au patrimoine de l'Unesco, et leur commerce fait l'objet d'un règlement très strict. Pendant une dizaine d'années, la mairie s'est désintéressée de leur activité jusqu'à ce qu'elle constate des dérives... Autour de Notre-Dame, certains n'hésitaient pas à se spécialiser dans la vente de souvenirs en tout genre. Depuis 2009, la mairie fait la chasse à ce commerce, après avoir tenté de réduire la vente des magazines pornographiques.
« Si ces marchands veulent vendre du souvenir, qu'ils aillent dans des boutiques habilitées pour, et qu'ils payent les charges allant avec. Nous trouverons bien des bouquinistes souhaitant se consacrer au livre » Car leur emplacement appartient à la ville de Paris ! Ils ne payent ni taxe, ni loyer, contrairement aux marchands de souvenirs qui leur font face. La municipalité leur attribue huit mètres de parapets pour qu'ils placent quatre boîtes. En échange, les bouquinistes doivent se conformer à des charges dans l'élaboration et le contenu de ces caissons peints en vert bouteille…
Conséquence : La mairie recherche des passionnés avec un profil précis, « des personnes qui choisissent cette profession pour être libres et faire vivre le livre à travers leur curiosité et leur créativité ». A en croire la centaine de candidatures déposées en février dernier pour 22 places à pourvoir, la profession du livre ancien a encore de l'avenir devant elle. Après avoir autorisé les bouquinistes à liquider leurs stocks de babioles pendant un an, la mairie fera preuve de moins de tolérance dès l'automne. C'est donc avec un plaisir renouvelé, qu'en sortant de l'institut le jeudi, je reprendrai le chemin des quais que j'avais délaissé depuis quelques temps…
Il avait du flair l'ancêtre qui, le premier, s'avisa de placer dans un tel cadre des boites à livres ! C'est dans ces parages que nos bons Bouvard et Pécuchet du livre commencèrent leur modeste activité. Le terme bouquiniste n'apparaît d'ailleurs dans le dictionnaire de l'Académie française qu'en 1789 ! Lieu où Naudé, bibliothécaire de Mazarin, rabattait les bouquins pour son insatiable patron, où Nodier, érudit poivre et sel, accumulait ses savoureuses trouvailles, où le fils du libraire Thibaud dans les vieux livres inconnus cherchait le canevas des romans d'Anatole France, la boite est une cage à souvenirs…
Ô balbutiements touchants de la bibliophilie débutante ! Magistrat, médecin, étudiant, employé, ouvrier, industriel, un jeune homme s'arrête, un dimanche devant les boites et bouquine. Quoique lettré, il n'a aucune notion de ce que peut être un bon livre. Il a chez lui des ouvrages de classe, quelques romans, quelques études historiques et il parcourt au hasard les livres dépenaillés…
Tout à coup, les yeux du jeune lecteur tombent en arrêt sur une couverture illustrée. La date parait d'une extrême vieillesse : 1841. Cela doit valoir bien cher… Puisque le moindre livre neuf se vend 200f, combien faut-il estimer un ouvrage plus que centenaire ? Sur la page de garde, un prix marqué : 20f. Le jeune homme a l'impression d'avoir fait un chopin de première classe ! Il achète sans barguigner et se hâte de rentrer à son domicile. Il bat le bouquin sur le bord de la fenêtre et trois tranches dorées apparaissent. Il époussette méthodiquement mais précautionneusement le 1er plat, le dos puis le deuxième plat et le motif polychrome apparaît dans toute sa splendeur. Le papier est sans rousseur et le nom de l'illustrateur est bien visible au bas des dessins : Job ! Il lui faudra rechercher d'autres ouvrages du bonhomme dans l'avenir…
J'ai aujourd'hui ; quelques années ont passé depuis, vous vous en doutez ; une collection complète des œuvres illustrées par Job dans l'appartement que me fournit l'Institut, sur la place des Vosges, quand je viens faire le dictionnaire… Un jour, je ferai une demande pour la concession d'une "boite" sur les quais de Seine. J'aurai, alors, le temps de lire les livres dont je parle depuis si longtemps dans mes chroniques… Votre dévoué. Philippe Gandillet
DODEMAN Charles. Le long des quais - bouquinistes - Bouquineurs – Bouquins. Les Editions Gallus – Paris. Broché In-8. 3ff, XV, un frontispice, 1f, 224pp, 3ff – 4 dessins de J. Boullaire. Préface de M. Emile le Senne, secrétaire de la société archéologique du VIIIème arrondissement, mort à l'ennemi. Edition originale. Bel état. Papier fragile. 45 € + port
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15 commentaires:
Du temps d’avant Internet, « faire les quais » était le seul moyen de trouver l’ouvrage rare que l’on cherchait. La méthode était aléatoire mais pas plus que de jouer au loto. Je me rappelle encore qu’un jour, c’était un jeudi, je passais par le quai des Gd Augustins et, sans raison valable, je tombais en arrêt devant une boite en me disant « et si je trouvais enfin les Mémoires Secrets du Chevalier de Rosaz que je cherche depuis 20 ans » Je choisis une pile de livres et paf ! du premier coup, j’avais l’ouvrage tant recherché en mains !! Vous imaginez mon émoi. Carla Bruni sortant de l’Institut au bras de D’Ormesson ne m’aurait pas plus abasourdi ! ah le bon temps d’avant Internet….
Parce que Carla Bruni et Jean d'Ormesson ?!! non ??!! on nous cache des choses...
Pour Mr Textor :
"Tout le bonheur du monde est dans l'inattendu".
Jean d'Ormesson
Extrait d'une interview dans Libération - 23 Décembre 2000.
Bonne soirée.
Nadia
J'aime beaucoup Jean d'Ormesson qui possède une classe naturelle qui n'est pas sans me rappeler celle de Paul Bourget.
L'humour en plus... A la réception de Marguerite Yourcenar, première femme élue à l'Institut,il avait séparé ainsi la salle des toilettes :
A droite : Messieurs
A gauche : Madame Yourcenar
L'inattendu attendu est le Graal du bibliophile... Combien d'ouvrages incomplets avons nous acheté à nos débuts dont nous recherchons aujourd'hui les tomes manquants ;-)) Philippe Gandillet
A ce propos, si vous avez le tome 3 du Traité de l’administration des finances de la France (1784) de Jacques Necker dont j'ai acheté les deux premiers en 1995, je suis preneur ! ;).
http://cgi.ebay.fr/ADMINISTRATION-FINANCES-FRANCE-NECKER-CALONNE-1785-/180550101881?pt=FR_GW_Livres_BD_Revues_LivresAnciens
2 incomplets peuvent faire un complet...
L'état est perfectible mais le texte semble complet. Pierre
Très bonne votre attaque de billet : la première phrase surtout, mais pourquoi m'est-elle si familière ?
Merci pour ce compliment. Il n'est pas impossible que la formulation ait été déjà utilisée et c'est peut-être pourquoi elle vous est familière... Un chroniqueur se nourrit de quelques mots justes et emprunter à Remy de Gourmont prouve que l'on a de bonnes fréquentations ;-)) Philippe Gandillet
Bienvenue sur ce blogue bibliophile quelque peu dilettante, tout du moins le lundi...
Eric Poindron & fesse'd bouc sont parmi ces bonnes fréquentations communes, sans doute.
Merci Pierre pour votre aide d'autant plus louable que ces ouvrages proposés à la vente ne sont pas dans votre librairie. Mais le problème c'est que pour que mon Necker ne reste pas définitivement déparaillé, il faut que je trouve le tome 3 en reliure identique (soit une reliure Empire avec des fers représentant des lampes romaines ... )
T
Je ne vois plus que le miracle pour votre cas Textor ! Avez-vous essayé de bruler quelques cierges à Sainte Wiborade patronne des bibliophiles ? Pierre
Merci pour ces précieux rappels et enseignements
J'ai téléphoné à Jean d'Ormesson, Nadia. Pour Carla : Tous les hommes en sont fous (1986)
Bonjour,
Je suis de ces bouquinistes crasseux dont verlaine disait qu'ils n'avaient que de vieux livres moisis. c'est vrai les quais de seine sont le dépotoire du mauvais gout! à qui la faute?? internet!! la réponse est un peu courte, l'argent facile, la nomination, par la municipalité parisienne durant de longues années de personnes qui ignorent tout du gout du livre, et puis et surtout le public, et oui les gens qui passent le long des quais regardent les livres et achétent des bimbeloteries pour touristes...Excusez moi, j'oubliais de préciser, personnellement je ne vend que des livres, pas de cartes postales, ni de tour eiffel chez moi, mais ce n'est pas une excuse, c'est de l'orgueuil, ou le sens de la dignité, je n'aime pas à m'incliner devant la bétise humaine son esprit étroit...Vous voyez le gout des livres donne souvent ou aussi parfois le dégout de la grande masse, ce que l'on appelle les gens...tout le reste n'est que vieux réve d'une humanité qui espérerait en son progrés moral que nenie...Combien de spectateurs pour la poubelle télévisée, combien pour une oeuvre de qualité...Tout est là m'sieur dame le peuple à un gout de fiasco, les triomphes intelectels sont pour de rare specimen qui surnage portait sans doute par leur propres illusions...
putain les fautes d'ortographes, fus-je tout à coup submergé par l'émotion de reconnaitre dans l'illustration de l'article plus haut, des photos des boites d'alain Bannier!!
donc vous corrigerez siou-plait cela
( qui surnagent portés sans doute etc...)
Superbe témoignage, cher confrère. Vous faites honneur à la profession. Il faut avoir, certes, de l'orgueil pour résister à un peu d'aisance financière mais vous êtes pardonnés car il s'agit d'orgueil bien placé !
Les photos des boites ont été faites, il y a deux ans. Je n'étais pas encore libraire ;-)) Bien le bonjour à votre confrère ! Pierre
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